Marque tridimensionnelle : la fonction indiquée par le déposant

Marque tridimensionnelle : la recherche de la fonction

Les marques sur la forme d’un produit, là,  aussi appelées marques tridimensionnelles font l’objet d’un contentieux spécifique. Un nouvel arrêt , de la Cour de justice, le 10 novembre 2016, apporte d’utiles précisions pour les déposants de marques communautaires et des marques françaises. Dans cette affaire, il s’agit d’« Rubik’s Cube » qui ne doit pas être limité à une cage noire, le visuel de la marque. La fonction technique du produit puisque c’est sa forme qui est déposée à titre de marque, doit être recherchée concrètement et l’Office ne doit pas se limiter à ce qu’indique le déposant.

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 novembre 2014, Simba Toys/OHMI – Seven Towns (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille)  (T‑450/09) avait réjoui ceux favorables aux marques tridimensionnelles, toutefois quelques réserves avaient été émises par exemple là

La Cour de Justice saisie d’un pourvoi contre cet arrêt l’infirme et annule la décision d’annulation de l’Office qui avait rejeté la demande d’annulation de cette marque communautaire.

Le rappel de la procédure

6 avril 1999 : enregistrement de la marque communautaire.

15 novembre 2006 : demande en nullité présentée par Simba Toys

14 octobre 2008 : la division d’annulation de l’EUIPO ( qui s’appelait alors l’OHMI) rejette cette demande en annulation.

1er septembre 2009 : la Chambre de recours confirme la décision de la division d’annulation

25 novembre 2014 : le Tribunal rejette le recours. La demande en annulation était donc rejetée, sauf que la société qui est à l’origine de cette procédure, saisit d’un pourvoi la Cour de justice.

La règle de droit

39      Dans ce contexte, la Cour a relevé que l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 vise à empêcher que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 43).

A la marque telle qu’enregistrée le Tribunal a vu un cube et une structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube sans aucune fonction technique.

41      En l’occurrence, le Tribunal a, au point 47 de l’arrêt attaqué, confirmé l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle les caractéristiques essentielles du signe en cause consistent en un cube et une structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube. Cette constatation n’est pas remise en cause dans le cadre du présent pourvoi.

42      En ce qui concerne, ensuite, la question de savoir si de telles caractéristiques essentielles répondent à une fonction technique du produit, le Tribunal y a répondu par la négative, en rejetant, notamment aux points 56 à 61 de l’arrêt attaqué, l’argumentation de la requérante selon laquelle les lignes noires et, plus globalement, la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube en cause remplissent une fonction technique.

43      À cet égard, le Tribunal a écarté les arguments de la requérante ayant trait à la capacité de rotation des éléments individuels du cube en cause dont lesdites lignes noires seraient l’expression, en faisant observer, en particulier aux points 58 et 59 de l’arrêt attaqué, que ces arguments reposaient essentiellement sur la connaissance de la capacité de rotation des bandes verticales et horizontales du « Rubik’s cube » et que cette capacité ne saurait résulter des caractéristiques de la forme présentée mais tout au plus d’un mécanisme interne, invisible, du cube. Selon le Tribunal, c’est à juste titre que la chambre de recours n’a pas inclus cet élément invisible dans son analyse de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles de la marque contestée. Dans ce contexte, le Tribunal a constaté que le fait de déduire l’existence d’un mécanisme interne de rotation des représentations graphiques de cette marque n’aurait pas été conforme aux exigences selon lesquelles toute déduction doit être faite le plus objectivement possible à partir de la forme concernée, telle que représentée graphiquement, et doit être suffisamment certaine.

44      Le Tribunal a, dès lors, à l’instar de la chambre de recours, considéré, au point 60 de l’arrêt attaqué, que la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube en cause ne remplit aucune fonction technique, puisque le fait que cette structure a pour effet de diviser visuellement chaque face de ce cube en neuf éléments carrés de même dimension ne saurait constituer une telle fonction au sens de la jurisprudence pertinente.

Mais La Cour ne peut pas remettre en cause la fonctionnalité retenue par le Tribunal

33      Par son premier moyen, Simba Toys soutient que le Tribunal a erronément appliqué l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 en s’étant fondé, notamment, aux points 56 à 77 de l’arrêt attaqué, sur une interprétation trop restrictive de cette disposition en ce qui concerne le caractère fonctionnel de la forme en cause. Par conséquent, le Tribunal aurait, à tort, considéré que les caractéristiques essentielles de cette forme ne répondent pas à une fonction technique du produit en cause.

34      À cet égard, s’il est vrai que l’appréciation de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles d’un signe, pour autant qu’elle comporte des constatations de nature factuelle, ne saurait, comme telle, sous réserve du cas d’une dénaturation, faire l’objet d’un contrôle par la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 74, et du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 59), il en est autrement des questions de droit que soulève l’examen de la pertinence des critères juridiques appliqués lors de cette appréciation ainsi que, en particulier, des facteurs pris en compte à cet effet (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 84 et 85, ainsi que du 6 mars 2014, Pi‑Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 61).

Le Tribunal n’ayant  pas apprécié correctement le signe en cause, lui a échappé les caractéristiques fonctionnelles idoines.

45      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, notamment au point 99 de ses conclusions, ce raisonnement est entaché d’une erreur de droit.

46      En effet, afin d’analyser la fonctionnalité d’un signe au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, lequel ne concerne que les signes constitués par la forme du produit concret, les caractéristiques essentielles d’une forme doivent être appréciées au regard de la fonction technique du produit concret concerné (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 72).

47      Ainsi, et dès lors qu’il n’est pas contesté que le signe en cause est constitué par la forme d’un produit concret et non par une forme abstraite, le Tribunal aurait dû définir la fonction technique du produit concret en cause, c’est-à-dire un puzzle en trois dimensions, et en tenir compte dans l’évaluation de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles de ce signe.

48      S’il était nécessaire, ainsi que le Tribunal l’a d’ailleurs relevé au point 59 de l’arrêt attaqué, aux fins de cette analyse, de partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement, ladite analyse ne pouvait être effectuée sans que soient pris en considération, le cas échéant, les éléments supplémentaires ayant trait à la fonction du produit concret en cause.

49      En effet, d’une part, il découle de la jurisprudence de la Cour que, dans l’examen des caractéristiques fonctionnelles d’un signe, l’autorité compétente peut effectuer un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte, outre la représentation graphique et les éventuelles descriptions déposées lors du dépôt de la demande d’enregistrement, des éléments utiles à l’identification convenable de caractéristiques essentielles dudit signe (arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 54).

50      D’autre part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 86 et 91 à 93 de ses conclusions, dans chacune des affaires ayant donné lieu aux arrêts de la Cour du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377), du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516), et du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129), les organes compétents n’auraient pas été en mesure d’analyser la forme concernée uniquement à partir de sa représentation graphique, sans avoir recours à des informations supplémentaires concernant le produit concret.

51      Il s’ensuit que le Tribunal a procédé à une interprétation trop restrictive des critères d’appréciation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, en ce qu’il a considéré, notamment aux points 57 à 59 de l’arrêt attaqué, que, pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe concerné, notamment la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube, il y avait lieu de partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement, sans qu’il soit nécessaire de prendre en considération des éléments supplémentaires qu’un observateur objectif ne serait pas en mesure de « saisir précisément » sur la base des représentations graphiques de la marque contestée, tels que la capacité de rotation d’éléments individuels d’un puzzle à trois dimensions de type « Rubik’s Cube ».

52      En outre, la circonstance, énoncée au point 55 de l’arrêt attaqué, que la marque contestée a été enregistrée pour des « puzzles à trois dimensions » en général, à savoir sans se limiter à ceux ayant une capacité de rotation, et que le titulaire de cette marque n’a pas joint à sa demande d’enregistrement une description dans laquelle il aurait été précisé que la forme en cause comportait une telle capacité, ne saurait faire obstacle à ce que soit prise en compte, aux fins de l’examen de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe en cause, une telle fonction technique du produit concret représenté par ce signe, sauf à permettre au titulaire de ladite marque d’étendre la protection conférée par l’enregistrement de celle-ci à tout type de puzzle de forme similaire, à savoir à tout puzzle tridimensionnel dont les éléments représentent la forme d’un cube, indépendamment de ses modalités de fonctionnement.

53      Or, cette dernière possibilité serait contraire à l’objectif poursuivi par l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, qui est, ainsi qu’il a été rappelé au point 39 du présent arrêt, d’éviter de conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit.

54      Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu d’accueillir le premier moyen du pourvoi et, par conséquent, d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments de ce moyen ni les autres moyens dudit pourvoi.