Le jugement du 11 novembre 2025 de Munich ( Gema vs Open AI) ordonne un opt-out : les conséquences juridiques.

L’article précédent, ici présentait les éléments techniques pris en compte par le Tribunal de Munich le 11 novembre 2025 dans le litige opposant Gema à deux sociétés du groupe Open AI. Voyons maintenant les mesures ordonnées, – un opt-out sous astreinte-, et leurs conséquences pour le modèle LLM en cause, puis les implications stratégiques pour les acteurs auteurs, sociétés de gestion de droits, et industriels de l’IA.

1°) L’opt-out sous astreinte et le renvoi à la communication d’informations sur l’ampleur des agissements

1-1°) Condamnations prononcées : une mesure d’interdiction assimilée à un out-put sous astreinte retient l’attention

(Ne sont pas reprises ci-dessous les condamnations pour les frais d’avocat et la publication judiciaire, les points 1, 2 et 3 renvoient à la numérotation du jugement).

1-1-1°) Interdiction (Unterlassung) – Point 1

Sous astreinte de 250.000 EUR ou [6 mois d’emprisonnement, nos amis allemands nous expliqueront cette mesure] par violation :

a) Point 1a – Reproduction dans les modèles :

Interdiction de reproduire, totalement ou partiellement, les 9 textes sans consentement de GEMA dans les Large Language Models, “comme cela s’est produit dans les modèles 4 et 4o”. La décision ne concerne pas les versions ultérieures GPT-5 et suivantes.

b) Point 1b – Outputs du chatbot :

Pour les textes (intégraux, partiels ou transformés) via les outputs d’un chatbot génératif interdiction de :

    • Rendre accessibles au public
    • Reproduire
    • Permettre à des tiers de le faire

Portée temporelle précise ( une distinction est faite entre les deux sociétés du groupe Open AI) :

    • Société 1 : depuis le 14.12.2023
    • Société 2 : depuis le 30.11.2022

1-1-2°) Information (Auskunft) – Point 2

Obligation de fournir un relevé ordonné détaillant :

a) Nombre et étendue des actes depuis les dates précitées

b) Chiffre d’affaires réalisé depuis ces dates

1-1-3°) Dommages-intérêts (Schadensersatz) – Point 3

Constatation judiciaire :

Les défendeurs sont tenus d’indemniser GEMA pour :

    • Tous dommages déjà subis
    • Tous dommages futurs

Résultant des actes décrits au point 1.

Modalité : Calcul ultérieur sur base des informations du point 2.

1-1-4°) Exécution provisoire

Cautions pour suspendre l’exécution provisoire (Nous y mettons cette fois la publication judiciaire et les frais d’avocat) :

Chef de condamnation Montant de la caution
Point 1 (reproduction modèle) 200.000 EUR
Point 1b (outputs chatbot) 200.000 EUR
Point 2 (information) 40.000 EUR
Publications judiciaires 20.000 EUR
Frais d’avocat, pré-contentieux et frais du procès 110 % du montant

Total des cautions potentielles : 460.000 EUR (+ 110% pour parties financières)

1-2°) L’impossibilité technique de l’opt-out rejetée par avance

1-2-1°) Argument d’OpenAI

Unlearning impossible :

“La génération de données d’entraînement comme output ne peut être totalement empêchée, car le processus d’entraînement accompli, dont est issu le modèle (entraîné), ne peut plus être annulé ; un ‘unlearning’ d’un contenu déterminé n’est pas possible selon l’état actuel de la recherche.”

1-2-2°) Réponse du tribunal – Refus catégorique

a) Refus d’un délai de grâce (Aufbrauchfrist) :

“Un délai de grâce ne doit pas être prononcé, car les défendeurs connaissent les violations du droit d’auteur au moins depuis la mise en demeure de la demanderesse du 06.11.2024, et donc depuis plus d’un an. Durant ce délai, ils auraient déjà pu entraîner un nouveau modèle, ce qui selon leurs propres indications nécessiterait six mois.”

b) Alternatives disponibles :

“Les défendeurs peuvent également, pour éviter la prétention à cessation, prendre une licence.”

c) Principe de rigueur :

L’interdiction signifie toujours des contraintes rigueurs pour le débiteur, qui sont en principe à supporter.

1-2-3°) Conséquences pratiques concrètes

Pour se conformer, OpenAI doit :

Option 1 – Arrêt du service :

    • Désactivation des modèles 4 et 4o pour l’Allemagne (ou UE)
    • Immédiat, sans délai de grâce

Option 2 – Réentraînement :

    • Nouveau modèle sans les oeuvres litigieuses
    • Ou avec licence GEMA préalable
    • Délai technique : ~6 mois selon OpenAI ( attention à l’impacte de l’astreinte)

Option 3 – Licence :

    • Négociation avec GEMA
    • Paiement rétroactif des dommages
    • Licence prospective

2°) Implications stratégiques pour les acteurs auteurs, sociétés de gestion de droits, et industriels de l’IA

2-1°) Pour les développeurs de LLM

Cette décision ouvre très largement la responsabilité des entreprises de l’IA, à elles d’exercer des contrôles et vérifications à chacune des phases d’élaboration.

Risques juridiques majeurs :

    • Violation massive du droit d’auteur si mémorisation;
    • Responsabilité directe qui ne peut pas être déléguée ( attention toutefois, la décision n’a pas eu à se prononcer sur d’éventuelles dispositions contractuelles sur cette problématique);
    • Interdiction immédiate sans transition, la durée de la procédure ne joue plus en faveur de la partie en défense;
    • Dommages-intérêts rétroactifs, mais la détermination de ceux-ci n’est pas traitée à cette décision.

Mesures préventives nécessaires :

a)En amont (training) :

    • Sélection rigoureuse des données d’entraînement
    • Privilégier contenus domaine public ou libres ( difficile en pratique avec les chansons) 
    • Obtenir licences préalables (sociétés de gestion collective)
    • Documentation complète des source

 b) Pendant l’entraînement :

    • Techniques anti-mémorisation
    • Tests de régurgitation systématiques
    • Filtrage des contenus problématiques

c)En aval (production) :

    • Filtres sur outputs, attention sur ce point particulier, cette décision soulève des problématiques spécifiques au robot.txt, ce qui invite les opérateurs à rechercher d’autres solutions comme …la licence ou l’autorisation.
    • Détection de contenus protégés
    • Blocage des reproductions substantielles
    • Mécanismes de notification aux ayants droit

d)Organisationnel :

Développer une entreprise et acquérir rapidement une position de monopole, à aller vite, à ignorer les règles, et à régler ultérieurement les questions juridiques n’est plus possible avec l’IA et le droit d’auteur.

    • Évaluation juridique préalable
    • Budgets pour licences
    • Veille jurisprudentielle
    • Procédures internes de compliance

2-2°) Pour les titulaires de droits et les sociétés de gestion de droits

De multiples opportunités d’action se dessinent mais toutes sont à reconsidérer au cas par cas selon la technologie utilisée.

2-2-1°) Actions judiciaires :

    • Modèle GEMA transposable
    • Preuve simplifiée (prompts simples)
    • Perspectives de succès élevées
    • Dommages-intérêts significatifs
    • Coordination entre sociétés nationales de gestion de droits

2-2-2°) Négociations de licences :

    • Position de force renforcée
    • Licences collectives via sociétés de gestion
    • Contrats spécifiques IA et développement de grilles tarifaires IA
    • Rémunération pour training + outputs
    • Clauses de transparence sur utilisation
    • Harmonisation des pratiques en fonction des droits en cause

2-2-3°) Stratégies défensives :

    • Réserves d’utilisation explicites, le robot.txt n’est pas suffisant
    • Monitoring des LLM (tests réguliers) avec une veille technologique
    • Actions collectives coordonnées
    • Éviter les culs-de-sac technologiques

3°) De sérieux tempéraments à cet enthousiasme des titulaires de droits d’auteur : au premier chef la destruction créatrice

Rappelons que cette décision du 11 novembre est susceptible d’appel.

3-1°) La création destructrice

Rien n’est moins solide qu’une décision fondée sur une solution technologique que son promoteur a déjà remplacée.

Les techniques anti-mémorisation dans GPT-5 sont-elles suffisantes ?

3-2°) La granulométrie de la similarité requise

À cette décision, le seuil le plus bas constaté : 15 mots

    • Avec éléments créatifs identifiables
    • Mais quelle limite inférieure réelle ?
    • Quid de fragments encore plus courts ?
    • Ou bien cette décision est-elle strictement liée à la nature des oeuvres en cause ?

3-3°) Types d’oeuvres concernées

Au jugement : paroles de chansons, a priori :

    • Forte originalité 
    • Complexité linguistique
    • Longueur substantielle

Transposable à :

    • Probablement : poèmes, romans, articles
    • Incertain : codes informatiques, bases de données
    • Quelle solution pour des simples faits ou la reprise d’un style général.

4°) Quelle responsabilité pour les utilisateurs ?

Cette décision n’exclut pas un cumul de responsabilité entre l’industriel de l’IA et les utilisateurs.

Les informations dont la communication est demandée, devraient-elles distinguer entre les emplois par les utilisateurs et partant distinguer a minima des usages strictement individuels d’emplois commerciaux ?

Enfin, quel degré requis de complexité pour exclure la responsabilité de l’industriel de l’IA et la transférer sur l’utilisateur ?