Appellations d’origine : de grands changements pour leur protection

La Cour de Paris, le 18 novembre 2022,  a entérine la position de la Cour de justice dans l’arrêt « Morbier » ci-dessous.

Il apparaît des éléments fournis au débat et des explications du Syndicat que la raie sombre centrale horizontale figurant au centre du fromage AOP Morbier figure certes au cahier des charges homologué par le décret n° 2011-441 du 20 avril 2011 mais ne remplit pas pour autant une fonction technique ni ne découle du processus de fabrication du fromage d’appellation d’origine, la technique de fabrication du Morbier qui avait lieu à l’origine en deux fois, le producteur utilisant alors une couche de suie entre les deux traites pour probablement éviter une couche de moisissure mal contrôlée, n’est plus en application depuis de nombreuses années, la raie centrale étant néanmoins conservée comme un signe de reconnaissance.

….

Il ressort de ce qui précède que pour les consommateurs européens tels que définis par la jurisprudence ci-avant rappelée de la CJUE qui connaissent l’appellation d’origine Morbier, l’existence d’une évocation pouvant être appréciée par rapport aux consommateurs de quelques Etats membres voire d’un seul, la raie centrale de couleur foncée est un élément qui permet de reconnaître ce fromage d’appellation d’origine pour environ la moitié d’entre eux.

En conséquence, le trait bleu horizontal évoque pour un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage d’appellation d’origine « Morbier ».

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Deux affaires devant la Cour de justice ont modifié le régime de protection des AOP, l’arrêt du 29 janvier 2020 ( « Comté « ) et celui du 17 décembre 2020 ( « Morbier »).

L’arrêt du 29 janvier 2020 n’anticiperait-il pas la décision à venir dans la 1ère affaire ? Et des changements importants s’annoncent après l’arrêt de la Cour de justice du 17 décembre 2020.

 

I La protection des AOP va-t-elle  au delà de celle de la seule dénomination ?

Classiquement les appellations d’origine protégée permettent d’interdire l’emploi de leur dénomination pour des produits non conformes à leur cahier des charges. Ce régime risque de se voir remis en cause par l’arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2019 et sa question préjudicielle devant la Cour de justice.

Brièvement les faits tels que rappelés à l’arrêt de la Cour de cassation où il est question du Morbier.

De l’AOC à l’AOP Morbier et la période transitoire

  1. Le « Morbier » est un fromage qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis un décret du 22 décembre 2000, lequel a défini une zone géographique de référence, ainsi que les conditions nécessaires pour prétendre à cette appellation d’origine, et a prévu, en son article 8, une période transitoire pour les entreprises situées hors de cette zone géographique qui produisaient et commercialisaient des fromages sous le nom « Morbier » de façon continue, afin de leur permettre de continuer à utiliser ce nom sans la mention « AOC », jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement de l’appellation d’origine « Morbier » à titre d’appellation d’origine protégée (AOP) par la Commission des Communautés européennes, conformément à l’article 5 du règlement (CEE) n° 2081/92 du 14 juillet 1992 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.

  2. En application du règlement (CE) n° 1241/2002 de la Commission du 10 juillet 2002, la dénomination « Morbier » a été inscrite au registre des AOP.

Le Morbier un fromage avec une raie noire centrale horizontale

  1. Le cahier des charges, reprenant la définition de l’article 1er du décret du 22 décembre 2000, présenté, conformément à l’article 4 du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, à l’appui de la demande d’AOP en vue de son inscription qui fut arrêtée par le règlement précité du 10 juillet 2002, a été légèrement modifié par le règlement d’exécution (UE) n° 1128/2013 de la Commission du 7 novembre 2013, entré en vigueur le 3 décembre suivant, applicable aux faits à compter de cette date : « Le « Morbier » est un fromage au lait cru de vache, à pâte pressée non cuite, de la forme d’un cylindre plat de 30 à 40 centimètres de diamètre, d’une hauteur de 5 à 8 centimètres, d’un poids de 5 à 8 kg, qui présente des faces planes et un talon légèrement convexe.  Ce fromage présente une raie noire centrale horizontale, soudée et continue sur toute la tranche. Son croûtage est naturel, frotté, d’un aspect régulier, morgé, laissant apparaître la trame du moule. Il est de couleur beige à orangé avec des nuances brun orangé, rouge orangé et rose orangé. Sa pâte est homogène de couleur ivoire à jaune pâle avec fréquemment quelques ouvertures dispersées de la taille d’une groseille ou de petites bulles aplaties. Elle est souple au toucher, onctueuse et fondante et peu collante en bouche et sa texture est lisse et fine. Le goût est franc avec des nuances lactiques, de caramel, de vanille, de fruits. En vieillissant la palette aromatique s’enrichit de nuances torréfiées, épicées et végétales. Les saveurs sont équilibrées. Ce fromage contient au minimum 45 grammes de matière grasse pour 100 grammes après complète dessiccation. L’humidité dans le fromage dégraissé (HFD) doit être comprise entre 58 % et 67 %. L’affinage du fromage est effectué pendant une durée minimale de 45 jours à compter du jour de fabrication, sans interruption du cycle.« .

Le litige

Le litige oppose le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (le syndicat), reconnu, le 18 juillet 2007, par l’Institut national des appellations d’origine (l’INAO), comme organisme de défense pour la protection du « Morbier », à la société Fromagère ………….. , établie dans le Puy-de-Dôme, fabriquant et commercialisant des fromages.

7. Conformément à l’article 8 du décret du 22 décembre 2000, la société Fromagère ………….. , qui fabriquait du morbier depuis 1979, a été autorisée à utiliser la dénomination « Morbier », sans la mention AOC, jusqu’au 11 juillet 2007, date à partir de laquelle elle lui a substitué la dénomination « Montboissié du Haut Livradois ».

8. La société Fromagère …………..  a en outre déposé, le 5 octobre 2001, aux Etats-Unis, la marque américaine « Morbier du Haut Livradois », qu’elle a renouvelée en 2008 pour dix années et, le 5 novembre 2004, la marque française « Montboissier » pour les produits de la classe 29.

Les décisions antérieures

22 août 2013 : le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (le syndicat) assigne la société Fromagère ………….. lui «  reprochant de porter atteinte à l’appellation protégée et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’AOP « Morbier » afin de créer la confusion avec celui-ci et de profiter de la notoriété de l’image qui lui est associée, sans avoir à se plier au cahier des charges de l’appellation d’origine »,

14 avril 2016 : le Tribunal de grande instance de Paris rejette l’intégralité des demandes du syndicat.

16 juin 2017 : la Cour d’appel de Paris confirme le jugement.

La Cour de cassation était saisie du pourvoi contre cet arrêt de la Cour de Paris.

Ne sont repris ici que certains  extraits de l’arrêt du 19 juin 2019. Les éléments factuels en particulier l’incidence de la production depuis 1979 et la composition des fromages litigieux sont à consulter à l’arrêt.

Les textes au regard desquels la Cour de cassation se prononce 

16. L’Union européenne a institué une protection des appellations d’origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) des produits agricoles et des denrées alimentaires, par le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992, remplacé par le règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006, puis par le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.

17. L’article 13, paragraphe 1, de chacun de ces trois règlements énumère à l’identique les types d’actes interdits : « (…) les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :
a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée ;
b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », ou d’une expression similaire ;
c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine ;
d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. ».

18. En droit interne, l’article L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, applicable en la cause, dispose que « Toute atteinte portée à une indication géographique engage la responsabilité civile de son auteur.
Pour l’application du présent chapitre, on entend par « indication géographique » :
a) (…) ;
b) Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées prévues par la réglementation communautaire relative à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ;
(…). ».

L’alternative soumise à la Cour de cassation par le pourvoi 

19. Le pourvoi pose la question de savoir si les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou s’ils doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent également toute présentation du produit susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à sa véritable origine, même si la dénomination enregistrée n’a pas été utilisée par le tiers.

20. Cette question est inédite devant la Cour de cassation.


25. Par un arrêt du 5 novembre 2003, n° 230438, le Conseil d’Etat, saisi par le syndicat de défense et de promotion des fabricants et affineurs du Morbier d’un recours en annulation pour excès de pouvoir du décret du 22 décembre 2000 relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Morbier », a jugé que les règles tant nationales que communautaires qui régissent la protection des appellations d’origine ont pour objectif de valoriser la qualité des produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée, notamment en imposant que la production, la transformation et l’élaboration de ces produits soient réalisées dans l’aire délimitée ; que ces règles ne font pas obstacle à la libre circulation d’autres produits ne bénéficiant pas de cette protection.

26. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ne semble pas avoir rendu de décision sur la question posée en l’espèce.

D’autres dispositions laissent penser que la protection des AOP va au-delà de celle de leur seule dénomination

27. En revanche, dans ses « Directives relatives à l’examen sur les marques de l’Union européenne » au point « 3.4 Autres indications et pratiques susceptibles d’induire en erreur », l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (l’EUIPO) indique, au visa de l’article 13, paragraphe 1, points c) et d) du règlement (UE) n° 1151/2012, que bien que cela dépende très largement des particularités caractérisant le cas d’espèce, qui doit dès lors être apprécié individuellement, une marque de l’Union européenne peut être considérée comme susceptible d’induire en erreur lorsque par exemple, elle comporte des éléments figuratifs qui sont généralement associés à la zone géographique en cause, tels que des monuments historiques notoirement connus, ou lorsqu’elle reproduit une forme particulière du produit. L’Office précise que les dispositions doivent être interprétées de façon restrictive et qu’elles « se réfèrent uniquement aux marques de l’Union européenne qui représentent (…) une forme singulière du produit décrite dans le cahier des charges de l’AOP/IGP ».

28. Par ailleurs, les dénominations constituées de termes géographiques ne sont pas les seuls signes à pouvoir prétendre à la protection prévue par le règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012. Certains signes, verbaux comme non verbaux, sont également protégés en ce qu’ils sont les corollaires de ces indications géographiques.

29. Il est ainsi admis que des mentions traditionnelles non géographiques, relatives aux vins et spiritueux, telles que « méthode traditionnelle », « réserve », « clos », « village » ou « château » sont réservées à certaines appellations. La CJUE a admis la validité de la réservation de la mention « méthode champenoise » aux vins bénéficiant de l’appellation d’origine « Champagne » (CJUE, 13 décembre 1994, C-306/93, Winzersekt ; rec. CJCE, 1994, I, p. 5555).

30. Il est également admis que certaines formes caractéristiques de l’origine géographique d’un produit puissent être réservées aux produits porteurs de l’appellation d’origine protégée. Ainsi, l’article 56, et l’annexe VII auquel il renvoie, du règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 complétant le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les demandes de protection des appellations d’origine, des indications géographiques et des mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, la procédure d’opposition, les restrictions d’utilisation, les modifications du cahier des charges, l’annulation de la protection, l’étiquetage et la présentation, réserve à des vins issus de raisins récoltés sur le territoire français bénéficiant des appellations d’origine protégées « Alsace » ou « vin d’Alsace », « Alsace Grand Cru », « Crépy », « Château-Grillet », « Côtes de Provence » rouge et rosé, « Cassis », « Jurançon », « Jurançon sec », « Béarn », « Béarn-Bellocq » rosé, et « Tavel » rosé, les bouteilles de type « flûte d’Alsace ». Le règlement prévoit qu’un type spécifique de bouteille peut être réservé à des vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée à la condition que ce type ait été « utilisé exclusivement, véritablement et traditionnellement pendant les vingt-cinq dernières années pour un produit de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée particulière » et que « son utilisation évoque pour les consommateurs un produit de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée particulière ». Le règlement expose que « l’utilisation de bouteilles présentant une forme particulière pour certains produits de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée est une pratique bien établie dans l’Union et peut évoquer, dans l’esprit des consommateurs, certaines caractéristiques ou la provenance de ces produits de la vigne », ce qui justifie de réserver ces formes de bouteilles aux vins concernés.

31. S’agissant des produits fromagers, un décret du 19 janvier 2001 relatif à l’AOC « Beaufort », aujourd’hui abrogé, étendait la protection de l’appellation d’origine au talon concave caractéristique du fromage de Beaufort.

32. De manière générale, les décrets de reconnaissance d’appellations d’origine pour des fromages contiennent des prescriptions sur leurs formes caractéristiques. Ainsi, l’article 1er du décret du 22 décembre 2000 relatif à l’AOC « Morbier », abrogé, décrivait, à l’alinéa 2, l’aspect extérieur de ce fromage et, à l’alinéa 3, sa composition interne. Une description légèrement modifiée de l’apparence de ce fromage figure désormais dans le cahier des charges de l’appellation d’origine « Morbier » dans sa version consolidée issue du règlement d’exécution (UE) n° 1128/2013 de la Commission du 7 novembre 2013.

33. Il existe donc un doute sur l’interprétation de l’expression « autre pratique » dans les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012, constituant une forme particulière d’atteinte à une appellation protégée si elle est susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

34. Se pose ainsi la question de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit prohibée par l’article 13, paragraphe 1, des règlements précités.

35. Cette question revient à déterminer si la présentation d’un produit protégé par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, est susceptible de constituer une atteinte à cette appellation, nonobstant l’absence de reprise de la dénomination.

36. Il y a lieu, dès lors, d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne.

La question préjudicielle posée à la Cour de Justice

PAR CES MOTIFS :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :

Les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la présentation d’un produit protégé par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée ?

Sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Réserve les dépens ;

Dit qu’une expédition du présent arrêt ainsi qu’un dossier, comprenant notamment le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-neuf.

Le 17 décembre 2020, la Cour de justice dit le droit :

Les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, et du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.

Les articles 13, paragraphe 1, sous d), respectifs des règlements nos 510/2006 et 1151/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée. Il y a lieu d’apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur européen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce.

II ) Des recours plus ouverts contre les AOP : les compétences partagées reconnues à l’arrêt du 29 janvier 2020 de la Cour de justice à propos du COMTE et des robots à traire

Brièvement les faits

L’INAO propose que le nouveau cahier des charges du « Comté » interdise l’utilisation du robot de traite dans la production du lait destiné à la fabrication du « Comté ».

8 septembre 2017 : arrêté d’homologation de ce cahier des charges de l’AOP « Comté », et de cette modification pour transmission à la Commission en application de l’article 53 du règlement no 1151/2012.

Précisons que cette modification est qualifiée de mineure. En effet, pour la procédure des articles 49 à 52 du règlement no 1151/2012, l’article 53 § 2 distingue des modifications « qui ne sont pas mineures », auxquelles s’applique la procédure prévue pour l’enregistrement d’une AOP aux articles 49 à 52 dudit règlement, et des modifications « mineures », qui sont définies à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du même règlement, et qui sont soumises à la procédure simplifiée qui y est prévue.

16 novembre 2017 : recours en annulation par un GAEC devant le Conseil d’Etat contre cet arrêté qui homologue l’interdiction de la traite des vaches par robot

1 juin 2018 : la Commission approuve cette modification dite mineure du cahier des charges.

La question posée à la Cour de Justice

Au regard de cette décision de la Commission, le recours devant le Conseil d’Etat a-t-il encore en sens ?

14 novembre 2018 : le Conseil d’Etat interroge la Cour de justice :  

« L’article 53 du [règlement no 1151/2012], l’article 6 du [règlement délégué no 664/2014] et l’article 10 du [règlement d’exécution no 668/2014] en lien avec l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans l’hypothèse particulière où la Commission […] a fait droit à la demande des autorités nationales d’un État membre tendant à la modification du cahier des charges d’une dénomination et à l’enregistrement de l’[AOP], alors que cette demande fait encore l’objet d’un recours pendant devant les juridictions nationales de cet État, celles-ci peuvent décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles ou si, compte tenu des effets attachés à une annulation éventuelle de l’acte attaqué sur la validité de l’enregistrement par la s doivent se prononcer sur la légalité de cet acte des autorités nationales ? »

La Cour de justice par son arrêt du 29 janvier 2020 rappelle le partage des compétences entre les juridictions nationales et la juridiction de l’Union

En effet, la Cour a constaté que le règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, 1), qui prévoyait une procédure d’enregistrement correspondant, en substance, à la procédure d’enregistrement énoncée aux articles 49 à 52 du règlement no 1151/2012, instaurait un système de partage des compétences, en ce sens que, en particulier, la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ne pouvait être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui avait soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne pouvait être faite que si cet État membre avait vérifié qu’elle était justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions sont réunies, ce qui exige, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers audit État membre, que les autorités compétentes de celui-ci sont les mieux placées pour vérifier ………..

En outre, compte tenu du pouvoir décisionnel qui revient ainsi aux autorités nationales dans ce système de partage des compétences, il appartient aux seules juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes pris par ces autorités, tels que ceux portant sur des demandes d’enregistrement d’une dénomination, qui constituent une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union, dès lors que les institutions de l’Union ne disposent à l’égard de ces  actes que d’une marge d’appréciation limitée ou inexistante, les  actes  de ces institutions, tels que les décisions d’enregistrement, étant, quant à eux, soumis au contrôle juridictionnel de la Cour……..

La compétence du juge national est maintenue.

Il en résulte qu’il appartient aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un acte national, tel que celui portant sur une demande d’enregistrement d’une dénomination, serait éventuellement entaché, en saisissant, le cas échéant, la Cour à titre préjudiciel, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers……

En effet, le juge de l’Union n’est pas compétent, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 263 TFUE, pour statuer sur la légalité d’un acte pris par une autorité nationale, cette constatation n’étant pas susceptible d’être infirmée par la circonstance que l’acte en cause s’intègre dans un processus de décision de l’Union ……

A la fois pour les modifications qui ne sont pas mineures

À cet égard, en ce qui concerne les demandes de modifications non mineures du cahier des charges d’une AOP, il a été relevé audit point 21 qu’elles sont, en vertu du renvoi opéré par l’article 53, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1151/2012, soumises à la même procédure que celle applicable à l’enregistrement d’une AOP.

Et pour les modifications mineures

S’agissant des demandes de modifications mineures, telles que celle en cause au principal, qui relèvent de l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement, elles sont soumises, en vertu des dispositions de l’article 6, paragraphe 2, du règlement délégué no 664/2014 et de l’article 10, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 668/2014, à une procédure simplifiée, mais pour l’essentiel semblable à ladite procédure d’enregistrement, en ce qu’elle instaure également un système de partage des compétences entre les autorités de l’État membre concerné et la Commission en ce qui concerne, d’une part, la vérification de la conformité de la demande de modification avec les exigences qui ressortent de ces règlements ainsi que du règlement no 1151/2012 et, d’autre part, l’approbation de cette demande.

L’affirmation du principe au droit à un recours effectif dans ce système de compétence partagée

  Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, il incombe aux juridictions des États membres, en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, TUE imposant, par ailleurs, aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ……………….

  Cette obligation faite aux États membres correspond au droit à un recours effectif devant un tribunal impartial consacré à l’article 47 de la Charte, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective ………., et qui est d’ailleurs évoqué, au regard de la procédure d’enregistrement, à l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012.

La Cour indique au juge national la nécessité de son contrôle

   Dans ces conditions, le fait, pour une juridiction nationale saisie d’un recours portant sur la légalité d’une décision des autorités nationales relative à une demande de modification mineure d’un cahier des charges d’une AOP, de considérer qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ce recours, au motif que la Commission a approuvé cette demande compromettrait la protection juridictionnelle effective que cette juridiction est tenue d’assurer en ce qui concerne de telles demandes de modification.

Il en va a fortiori ainsi dès lors que la procédure relative à une demande de modification mineure du cahier des charges établie à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa du règlement no 1151/2012, à la différence de ce qui est prévu s’agissant d’une modification du cahier des charges qui n’est pas mineure, ne prévoit pas la possibilité d’introduire une opposition à la modification proposée. Dans ces conditions, le recours portant sur la légalité d’une décision des autorités nationales portant approbation de cette demande de modification mineure constitue la seule possibilité pour les personnes physiques ou morales affectées par une telle décision de s’y opposer.

Le droit dit par la Cour de justice

 L’article 53, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l’article 6 du règlement délégué (UE) no 664/2014 de la Commission, du 18 décembre 2013, complétant le règlement no 1151/2012, et l’article 10 du règlement d’exécution (UE) no 668/2014 de la Commission, du 13 juin 2014, portant modalités d’application du règlement no 1151/2012, lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la Commission européenne a fait droit à la demande des autorités d’un État membre tendant à ce qu’il soit procédé à une modification mineure du cahier des charges d’une appellation d’origine protégée, les juridictions nationales saisies d’un recours portant sur la légalité de la décision prise par ces autorités sur cette demande en vue de

On notera qu’antérieurement le Conseil d’Etat avait examiné la légalité d’une  AOP même après son acceptation par la Commission, mais le référentiel juridique n’était pas le même, l’AOP en question était celle du Morbier. C.E 5 novembre 2003,  SYNDICAT DE DEFENSE ET DE PROMOTION DES FABRICANTS ET AFFINEURS DU MORBIER, et autres