Les entreprises confrontées aux clauses contractuelles des plateformes de l'IA

Les entreprises confrontées aux clauses contractuelles des plateformes de l'IA

(Les FAQ sont en fin d'article)

Entreprises : vous pensiez en avoir fini avec ces questions de droits d'auteur appliqués à l'IA, détrompez-vous et regardez les contrats de ces plateformes. Les solutions de cet été sur les droits d'auteur des sorties, aussi dénommées outputs ou résultats des IA s'appliquent sur un marché profondément oligopolistique (1). A l'horizon qui se dessine « Pas de droit d'auteur pour les IA », « Seule la création humaine est éligible au droit auteur » (2), pointent les questions de définition et de mesure pour établir un droit d'auteur (3), et en cas de seuil non atteint, le statut juridique de ce résultat. Sur tous ces enjeux, les entreprises sont déjà confrontées aux clauses contractuelles des plateformes d'IA (4).

1°) L'économie des plateformes favorise déjà les monopoles numériques, il n'est pas souhaitable d'en ajouter d'autres issus des droits d'auteurs

La plateforme est la forme d'entreprise la plus efficace pour extraire, qualifier, et exploiter des volumes de plus en plus importants de données.

Revenons à la perception française exprimée au rapport du CSPLA du 23 juin 2025 sur la rémunération des contenus culturels utilisés par les systèmes d'IA (site du CSPLA) qui présente la situation actuelle sous un paragraphe « Typologie des systèmes et modèles ».

Cette présentation distingue les Systèmes d'IA à usage général qui peuvent répondre à diverses finalités, des Modèles de fondation conçus pour être adaptés à un large éventail de tâches différentes, à opposer aux Modèles spécialisés, des Modèles d'IA générative, et des Modèles multi-modaux qui « associent de manière fluide texte, images et paroles, permettant des interactions riches et variées ».

Utiliser comme point de départ des Modèles de fondation pour développer les modèles de machine learning et de nouvelles applications est beaucoup plus rapide et donc plus rentable que de partir de zéro pour les entreprises de l'IA.

Ce constat repose sur une contrainte technique initiale : un apprentissage à partir d'ensembles massifs de données, ce que les titulaires de droits d'auteur, les organes de presse et de média ont assimilé à une appropriation culturelle mondiale.

La conséquence de cette contrainte technique comme souvent en matière d'économie des plateformes, ce marché est occupé par un oligopole d'entreprises américaines qui domine le marché du développement des Modèles de fondation (CSPLA page 36).

Comme ce corpus d'apprentissage s'appuie sur les créations les plus récentes, il est composé d'œuvres protégées par le droit d'auteur.

Plus il y a d'utilisateurs, plus la plateforme devient attractive sans que le coût par utilisateur supplémentaire soit perceptible, avec du fait des rendements croissants de l'attractivité une part considérable du marché détenue par un acteur.

Les droits d'auteurs s'ils étaient reconnus en faveur des IA démultiplieraient leurs effets de réseau puisque chaque production serait protégée en leur bénéfice.

Déjà plusieurs centaines de millions d'utilisateurs depuis que l'IA s'est popularisée. « D'ici 2027, le monde comptera le chiffre impressionnant d'un demi-milliard d'utilisateurs de technologies liées à l'IA » selon BPIFRANCE (« Les chiffres 2023-2024 du marché de l'IA dans le monde », 23 juin 2024 sur le site de bpifrance).

Au capital algorithmique des IA, serait-il raisonnable d'y ajouter à leur bénéfice des droits d'auteurs dont la durée atteint 70 ans, que des centaines de millions d'utilisateurs, en attendant le franchissement du milliard, créeraient chaque année ?

2°) Le droit d'auteur ne récompense que l'humain : pas de droit d'auteur pour les IA

Aucune législation n'a prévu qu'une IA en tant que telle soit éligible à la qualité d'auteur, mais cette absence pourrait s'expliquer par l'ancienneté des lois régissant le droit d'auteur, époque où les IA tout du moins dans les formes qui nous intéressent aujourd'hui, n'existaient pas.

Les législations sur le droit d'auteur ne s'intéressent qu'à la personne humaine comme créateur originaire de l'œuvre ou éventuellement à des entités particulières par des droits voisins, à illustrer en France avec la loi du 24 juillet 2019, loi n° 2019-775 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Certes au Royaume Uni, - également dans d'autres pays actuellement ou anciennement membres du Commonwealth- , la loi sur les œuvres générées par ordinateur (« computer-generated works » (section 9(3) CDPA 1988)), et non par humain, aurait pu ouvrir la voie.

Mais dans ce cas, l'auteur n'est pas l'IA, mais la personne qui a fait les arrangements nécessaires à cette création, c'est-à-dire un humain et non une quelconque machine ou un quelconque programme mis en œuvre sur des ordinateurs.

La situation a été clarifiée en novembre 2024 lors de la 10e session du Dialogue de l'OMPI qui était placée sous le thème « Intelligence artificielle générative : propriété intellectuelle et produits » (site de l'OMPI), et qui a permis aux parties d'en approfondir les enjeux : « Dans le domaine de la propriété intellectuelle, le "problème du produit" est au cœur des débats, la question étant de savoir si les contenus générés par l'intelligence artificielle peuvent bénéficier d'une protection au titre du droit d'auteur ».

Aucune intervention ne cite une législation qui reconnaitrait une IA en tant que telle éligible à la qualité d'auteur.

Notons une absente à ces débats, la question de la personnalité juridique des IA sans laquelle aucune attribution de droit n'est envisageable.

La tentative de voir reconnaître une personnalité juridique même pour un droit sui generis comme cela avait pu être envisagé en 2017 n'est donc plus d'actualité. En ces lointaines années, attribuer la personnalité juridique à chaque robot ou à une IA pris séparément aurait permis à leur fabricant ou éditeur d'alléger ou même de s'affranchir de toute responsabilité pour les faits dommageables que ces machines auraient pu provoquer.

A l'époque, cela n'aurait été qu'une question de contrat d'assurance, mais l'énormité des enjeux des droits d'auteur dans une économie fondée sur l'immatériel a totalement rebattu les cartes et englouti ce débat.

A ce panel de l'OMPI, toutes les contributions militent pour que le droit d'auteur n'offre de protection qu'aux seules interventions humaines.

Seule la création humaine est éligible au droit d'auteur, et les débats actuels militent pour le statu quo.

3°) Quand une IA est utilisée, comment "l'intervention humaine" doit-elle être définie et mesurée pour reconnaître un droit d'auteur ?

Si l'IA ne peut pas se voir attribuer un droit d'auteur, l'emploi de l'IA ne disqualifie pas automatiquement une œuvre de la protection, une telle exclusion ne s'applique pas aujourd'hui aux emplois d'outils tels que ordinateurs, tablettes, palettes numériques ou logiciels de retouche d'image.

L'Italie prépare actuellement une modification de sa loi sur le droit d'auteur pour prévoir la protection des œuvres de l'esprit crées par un humain au moyen d'une IA.

Bien que la Chine et les États-Unis voient dans la création humaine l'origine d'un droit d'auteur, des décisions récentes d'offices ou de tribunaux fournissent des critères pour reconnaître un droit d'auteur quand des outils d'IA sont employés.

Aux Etats-Unis (pour mémoire, la Cour Suprême avait été saisi sur la protection des photographies par le copyright, Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony, 111 U.S. 53 (1884), la décision et les opinions), seule la part humaine dans ce processus créatif est éligible à la protection par le droit d'auteur.

Deux affaires ont borné ce débat Thaler v Perlmutter et Zarya of the Dawn. La décision du Copyright Office du 21 février 2023 à propos de cette bande dessinées dont les images avaient été générées par une IA, a annulé le certificat initial, le second certificat qui a été accordé, ne porte que sur les contributions humaines sans les éléments générés par l'IA.

S'agissant des prompts, s'ils sont en eux même créatifs, ils sont protégeables mais cette protection est sans effet sur les sorties de l'IA (Copyright and Artificial Intelligence, part 2 : Copyrightability, janvier 2025 accessible en ligne sur le site).

Pour l'office américain, s'ils peuvent contenir des éléments artistiques souhaités par l'utilisateur, ces prompts ne contrôlent actuellement pas la manière dont le système d'IA les traite pour générer le résultat. Se perçoit ici la conception classique du droit d'auteur qui reconnait la qualité d'auteur même à celui qui ne participe pas à la réalisation matérielle de l'œuvre sous réserve qu'il ait apporté l'empreinte de sa personnalité par ses corrections et critiques pour diriger sa réalisation qu'il était donc à même de comprendre et de maitriser. L'effet boîte noire tant qu'il persiste, bloque la reconnaissance de la qualité d'auteur.

Dans l'avenir, l'office américain n'exclut pas que des évolutions technologiques permettent de déterminer correctement les éléments produits, et contrôler la manière dont le système les traduit en résultat, mais là encore cet avenir ne serait qu'en faveur de l'humain.

En Chine, depuis 2018, plusieurs décisions sont intervenues. Dans l'affaire "Spring Breeze Brings Tenderness" (Li Yunkai c. Liu Yuanchun), 27 novembre 2023, la Cour de l'Internet de Pékin, se montre plus ouverte que l'Office des États-Unis concernant la protection des œuvres générées par l'IA puisque l'image toute entière bénéfice de la protection.

Le créateur a su convaincre le Tribunal de son expression personnalisée dans l'utilisation des outils d'IA depuis la conception jusqu'à la sélection finale de l'image.

Ce processus empreint de sa personnalité inclut la mise en scène de la présentation des personnages, la sélection et l'ordre des termes employés dans les prompts, la définition des réglages pertinents de l'outils IA et de leurs processus d'ajustement et de modification, enfin, la sélection de l'image finale parmi plusieurs options générées, qui correspondait à ses attentes. Autre argument qui n'est pas anecdotique, le créateur a su reproduire les éléments de l'image en cause dépassant le seuil d'imprévisibilité des IA souligné par l'Office américain.

Si l'effet boîte noire s'atténue par des développements technologiques, le créateur, personne physique, retrouvera sa palette de droits sur l'intégralité de l'œuvre.

4°) Les conditions d'utilisation des plateformes d'IA organisent l'emploi des résultats d'IA

Chacun perçoit aisément que les conditions d'utilisation des plateformes d'IA notamment dans le domaine industriel, dépassent largement le cadre de cet article.

Limitons-nous à de simples constats, les conditions générales d'utilisation des IA se caractérisent par leur variabilité et des nuances récentes à conjuguer selon leurs offres dites gratuites ou payantes, et selon les fonctionnalités proposées.

Rappelons aussi que des effets contractuels sont induits par un curseur déplacé ou un bouton activé en particulier pour que l'utilisateur permet ou s'oppose à l'utilisation de ses promptes et de ses éléments d'analyse ou de référence pour l'entraînement de l'IA.

En se reportant aux pages officielles des IA les plus connues, une dominante se dégage : la plupart des plateformes ne revendiquent aucune propriété intellectuelle, - attention au sens de ces terme aux CGU - , sur les contenus générés, mais des modalités contractuelles pourraient les associer selon les formules à des mécanismes de licence.

Dans le domaine de la musique et de la chanson, les droits d'exploitation resteraient au moins pour une plateforme. Dans les autres domaines, des limitations d'emploi de l'utilisateur se retrouvent principalement dans les formules gratuites d'accès.

Selon les conditions générales d'une plateforme de génération d'images, en cas de dépassement d'un seuil de chiffre d'affaires annuel, une formule d'abonnement spécifiques est requise à défaut les droits restent à la plateforme.

Les modalités d'exploitation commerciale des résultats d'IA peuvent se voir limitées selon les dispositions contractuelles même dans des formules payantes, l'entreprise utilisatrice se voit ainsi confrontée à un examen plateforme par plateforme, et abonnement par abonnement avant de choisir son IA.

Aspect essentiel que révèle l'examen des clauses contractuelles, ces plateformes tentent de se prémunir en cas de réponses similaires qu'obtiendraient des utilisateurs différents, ce qui renvoie à la problématique développée ci-dessus sur la titularité de droits d'auteur associés à une œuvre générée grâce à des outils d'IA.

Un examen plus fin d'une telle clause et selon sa fréquence sur un marché de Modèles spécialisés qualifié d'oligopole pourrait créer une exception au droit d'auteur sur une œuvre générée par une IA aux bénéfices d'autres sorties d'IA similaires ou présentant les mêmes caractéristiques d'originalité. Une telle orientation mériterait d'être surveillée si elle devait se confirmer, en particulier sous l'aspect de communauté d'utilisateurs où les sorties d'IA sont qualifiées de publiques ou réutilisables.

Reste bien sûr l'atteinte à des droits d'auteur sur une œuvre antérieure non générée par une IA. Dans l'attente des initiatives gouvernementales (voir l'article du 8 août 2025), des dispositions contractuelles de chaque plateforme ont pour objet de transférer tout ou partie de la responsabilité aux utilisateurs. Cette question présente en particulier une très forte variabilité, pour la fin d'année est attendue une importante décision du juge californien après son jugement du 23 juin 2025.

Un tableau pourrait être proposé avec les principales plateformes et leur disposition sur la propriété intellectuelle des résultats de l'IA, mais l'attente des entreprises requiert une granulométrie plus fine.

Au lieu de cette volumétrie qui dépasserait le présent format, il est recommandé aux entreprises d'identifier leurs zones à risques et de les confronter aux clauses contractuelles de la plateforme en cours d'utilisation.

Trois zones de risques à prioriser

  • L'emploi et l'usage des sorties d'IA au sein de l'entreprise et en direction des clients.
  • La responsabilité de l'entreprise y compris dans les garanties demandées par ses clients.
  • L'atteinte à des droits antérieurs constitutifs de droits issus de propriété intellectuelle ou dispositions contractuelles.

Version courte sous la forme de FAQ

FAQ 1 : Pourquoi l'économie des plateformes d'IA pose-t-elle un problème de monopole ?
L'économie des plateformes favorise déjà les monopoles numériques, et il n'est pas souhaitable d'en ajouter d'autres issus des droits d'auteur. Le marché est dominé par un oligopole d'entreprises américaines qui contrôlent les Modèles de fondation. Ces plateformes bénéficient d'effets de réseau croissants : plus il y a d'utilisateurs, plus la plateforme devient attractive sans coût supplémentaire perceptible. Avec plusieurs centaines de millions d'utilisateurs actuels et un demi-milliard attendu d'ici 2027 selon BPIFRANCE, reconnaître des droits d'auteur aux IA démultiplierait ces effets monopolistiques.
FAQ 2 : Les IA peuvent-elles bénéficier de droits d'auteur ?
Non, aucune législation n'a prévu qu'une IA soit éligible à la qualité d'auteur. Seule la création humaine est éligible au droit d'auteur. Cette position a été clarifiée lors de la 10e session du Dialogue de l'OMPI en novembre 2024. Même au Royaume-Uni, où existe une loi sur les "computer-generated works", l'auteur reste la personne humaine qui a fait les arrangements nécessaires à la création, non l'IA elle-même. Toutes les contributions internationales militent pour que le droit d'auteur ne protège que les interventions humaines.
FAQ 3 : Comment définir et mesurer l'intervention humaine pour reconnaître un droit d'auteur quand une IA est utilisée ?
L'emploi d'IA ne disqualifie pas automatiquement une œuvre de la protection, comme pour les autres outils (ordinateurs, logiciels). Cependant, les critères diffèrent selon les juridictions :
  • États-Unis : Seule la part humaine est protégeable. Les prompts créatifs peuvent être protégés mais sans effet sur les sorties d'IA. L'effet "boîte noire" bloque la reconnaissance tant que l'utilisateur ne peut pas contrôler et comprendre le processus.
  • Chine : Plus ouverte, comme dans l'affaire "Spring Breeze Brings Tenderness" (2023), où l'image entière a bénéficié de protection grâce à l'expression personnalisée du créateur dans tout le processus créatif.
FAQ 4 : Comment les plateformes d'IA organisent-elles l'exploitation des résultats via leurs conditions d'utilisation ?
Les conditions générales d'utilisation des IA se caractérisent par leur variabilité et des nuances selon les offres gratuites/payantes. Les constats principaux :
  • La plupart des plateformes ne revendiquent pas de propriété intellectuelle sur les résultats générés
  • Des modalités contractuelles peuvent les associer à des mécanismes de licence
  • Les formules gratuites comportent plus de limitations d'emploi
  • Certaines plateformes conservent des droits en cas de dépassement de seuils de chiffre d'affaires
  • Les plateformes tentent de se prémunir contre les réponses similaires entre utilisateurs
  • La responsabilité en cas d'atteinte aux droits antérieurs est souvent transférée aux utilisateurs
FAQ 5 : Quelles sont les zones de risques prioritaires pour les entreprises ?
Trois zones de risques à prioriser :
  • 1. L'emploi et l'usage des sorties d'IA au sein de l'entreprise et en direction des clients
  • 2. La responsabilité de l'entreprise, y compris dans les garanties demandées par ses clients
  • 3. L'atteinte à des droits antérieurs constitutifs de droits de propriété intellectuelle ou de dispositions contractuelles
Il est recommandé aux entreprises d'identifier leurs zones à risques spécifiques et de les confronter aux clauses contractuelles de chaque plateforme utilisée, plutôt que de s'appuyer sur des analyses génériques.