Une marque peut-elle valablement « succéder » à un brevet ?

Quand un effet technique se manifeste par une couleur, et que cette solution technique était protégée par un brevet, le dépôt à titre de marque de cette couleur pour des produits objets de l’invention, postérieurement au terme du brevet est-il frauduleux au sens du droit des marques ?

L’affaire en cause

Le brevet portait sur « l’effet technique de l’oxyde de chrome pour garantir dureté et résistance des billes de céramique entrant dans la constitution des prothèses médicales ».

Et c’est la présence de l’oxyde de chrome qui donne cette couleur rose.

Les marques figuratives sont déposées :

  • quelques jours après le terme du brevet, (en invoquant aussi des priorités allemandes antérieures à la date d’échéance du brevet),
  • pour « Pièces céramiques pour implants pour l’ostéosynthèse, substituts aux surfaces d’articulations, écarteurs pour les os; Billes pour articulations de la hanche, coquilles/plaques pour articulations de la hanche et pièces d’articulation du genou; Tous les produits précités pour vente aux fabricants d’implants ».

25 juin 2021, la Cour de Paris annule les trois marques de l’union pour dépôt de mauvaise foi.

10 janvier  2024 : la Cour de cassation interroge la Cour de justice (bien que le règlement soit aujourd’hui abrogé, l’intérêt demeure). L’arrêt de la Cour de cassation

  • L’article 52 du règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire doit-il être interprété en ce sens que les causes de nullité de l’article 7, visées en son paragraphe 1, sous a) sont autonomes et exclusives de la mauvaise foi visée en son paragraphe 1, sous b) ?
  • 2. Si la réponse à la première question est négative, la mauvaise foi du déposant peut-elle être appréciée au regard du seul motif absolu de refus d’enregistrement visé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii) du règlement n° 207/2009 sans qu’il ne soit constaté que le signe déposé à titre de marque soit constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ?
  • 3. L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut la mauvaise foi d’un déposant ayant introduit une demande d’enregistrement de marque avec l’intention de protéger une solution technique lorsqu’il a été découvert, postérieurement à cette demande, qu’il n’existait pas de lien entre la solution technique en cause et les signes constituant la marque déposée ?

Commentaires complémentaires le 12 janvier 2024

Cette situation peut évoquer l’affaire dite Lego.  A l’arrêt du 14 septembre 2010, C-48/09, dans l’affaire Lego, la Grande Chambre de la Cour de justice se prononce sur les signes constitués par la forme du produit, situation prévue à l’article 7 , paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 40/94, dont l’exclusion est limitée aux signes constitués «exclusivement» par la forme du produit «nécessaire» à l’obtention d’un résultat technique.

Mais de telles dispositions pour les signes constitués d’une (de) couleur(s) ne sont pas prévues expressément à l’article 7 ( du règlement 207/2009).

Resterait le second cas de nullité de l’article 52 b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque ».

C’est là qu’intervient la Cour de cassation, le 10 janvier, la mauvaise foi exige-t-elle des critères supplémentaires – ( … « sont autonomes et ne peuvent, s’ils ne sont pas vérifiés, caractériser la mauvaise foi visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b)…) – ou moins stricts de ceux de l’article 7 ou est-elle même exclusive de celui-ci ?

Deux points à relever à l’arrêt du 10 janvier 2024.

1°) La Cour d’appel de Paris, le 25 juin 2021, a retenu la mauvaise foi en prenant « en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement ». « la proportion de ce composant précisément retenue par la société C…… et dont elle pensait qu’elle était source de solidité du matériau conduit nécessairement à la couleur déposée à titre de marque ». et « Pour apprécier la mauvaise foi, il convient également d’examiner la logique commerciale dans laquelle s’inscrit le dépôt de marque …. ».

Mais postérieurement à cette appréciation séparée de l’article 52, la Cour de Stuttgart place cette problématique de la couleur sous le seul article 7 !

Pour la Cour de cassation, cette divergence d’interprétations motive les questions préjudicielles. 

2°) La 3ème question mériterait aussi des commentaires, mais ils allongeraient démesurément l’attention.