Brevet et CCP vs Générique : n’oubliez pas la CNAM !

Arrêt Cour d'appel Paris 24 septembre 2025 - Affaire Plavix Sanofi CNAM

Arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 septembre 2025

Affaire CNAM c/ Sanofi - RG n° 19/19969

L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 24 septembre 2025 constitue l'épilogue judiciaire d'une affaire emblématique qui aura marqué le droit de la concurrence pharmaceutique en France. L'arrêt du 24 septembre 2025

Les faits remontent à la période 2009-2010, lorsque le géant pharmaceutique Sanofi avait orchestré une stratégie de dénigrement systématique des génériques de son médicament vedette, le Plavix (clopidogrel).

Cette stratégie s'articulait autour de l'exploitation abusive de deux protections par brevet et certificat complémentaire de protection: le brevet sur le sel d'hydrogénosulfate de clopidogrel (brevet EP0281459 avec certificat complémentaire jusqu'en février 2013) et celui sur l'indication thérapeutique du syndrome coronarien aigu (SCA) en bithérapie avec l'aspirine (protégé nous dit l'arrêt jusqu'en février 2017).

Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 18 décembre 2014. Le 18 octobre 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Sanofi. L'arrêt de la Cour de cassation

La Condamnation Historique

La Cour d'appel prononce une condamnation record de 150 748 005 euros de dommages-intérêts au profit de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM)

se décomposant ainsi :

  • 111 666 964 euros pour le préjudice lié au remboursement des assurés
  • 21 862 784 euros de préjudice financier en résultant
  • 14 556 030 euros pour le préjudice lié à la rémunération des pharmaciens
  • 2 662 227 euros de préjudice financier additionnel

Cette somme s'ajoute aux 217 641,94 euros TTC de frais d'expertise judiciaire et aux 500 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les Apports Jurisprudentiels Majeurs

1. La Délimitation Claire entre Protection par brevet et Réalité Médicale

L'arrêt pose un principe fondamental : la protection conférée par un brevet ne saurait justifier un discours médical alarmiste ou la dévalorisation de produits concurrents bioéquivalents.

La Cour affirme sans ambiguïté que "les différences de sels et d'indications des génériques concurrents de Plavix, liées uniquement à des questions de propriété intellectuelle, et non à des propriétés chimiques ou médicales particulières, n'ont aucune incidence sur la bioéquivalence et la substituabilité de ces médicaments" (point 108).

Cette position jurisprudentielle établit une séparation étanche entre :

  • Les droits exclusifs conférés par les brevets (dimension juridico-économique)
  • La réalité scientifique des propriétés thérapeutiques (dimension médicale)

2 Contexte Jurisprudentiel Européen et International

A. Évolutions Récentes du Droit de la Concurrence Pharmaceutique

L'affaire Plavix s'inscrit dans une tendance européenne de durcissement de la régulation concurrentielle pharmaceutique. La récente sanction de Teva par la Commission européenne (462,6 millions d'euros, octobre 2024) pour manipulation du système de brevets divisionnaires témoigne de cette évolution. Cette décision, première du genre pour abus du système des brevets en Europe, établit un précédent important dans l'encadrement de l'utilisation stratégique des brevets.

L'arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2025 dans l'affaire DMLA (Avastin/Lucentis) complète ce tableau en précisant que :

  • La concurrence potentielle doit être appréciée même en présence d'empêchements légaux
  • La liberté d'expression des laboratoires trouve ses limites dans les objectifs anticoncurrentiels
  • L'intention anticoncurrentielle constitue un élément factuel pertinent pour caractériser l'abus

B. Impact Financier Systémique

L'arrêt de 2025 quantifie précisément le préjudice :

Structure du Préjudice (150,7 M€) :

  • Remboursements assurés : 111,7 M€ + 21,9 M€ d'intérêts financiers = 133,6 M€
  • Rémunération pharmaciens : 14,6 M€ + 2,7 M€ d'intérêts financiers = 17,3 M€

Cette répartition illustre l'effet multiplicateur des pratiques anticoncurrentielles dans le système de santé français.

L'impact sur les remboursements (88,5% du préjudice) dépasse largement celui sur les rémunérations des professionnels.

3 Modification de l'approche judiciaire : l'expertise allonge la durée de l'effet de dénigrement

L'innovation majeure réside dans la reconnaissance d'effets durables du dénigrement 11 années après leur cessation.

« Au terme de ses opérations d'expertise, l'expert judiciaire a estimé la durée des effets des pratiques anticoncurrentielles jusqu'au mois de septembre 2021. Cette date de fin des effets des pratiques sanctionnées correspond au point de convergence des courbes du taux de générification contrefactuel validé du Plavix et du taux de générification réellement observé du Plavix » (point 146).

La période initiale des comportements était de 5 mois entre septembre 2009 et janvier 2010 (point 30)

Cette approche temporelle :

  • Reconnaît la persistance réputationnelle dans les secteurs de haute technicité
  • Étend considérablement les délais de prescription pour les actions en responsabilité
  • Impose aux entreprises dominantes une réflexion sur leur responsabilité à propos de leurs communications

De vastes implications stratégiques pour les praticiens !