Brevetabilité des Logiciels
Jurisprudence et Analyse de la Convention de Munich
Le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris
18 juin 2015 - 1ère Section de la 3ème Chambre
Contexte de l'affaire
Le jugement de la 1ère Section de la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris rappelle les dispositions de la CBE pour annuler des revendications concernant le brevet EP 797.
"Il n'est pas contesté que les revendications 12 à 14 du brevet EP 797 concernent un programme d'ordinateur considéré en tant que tel."
Point clé de la décision
En conséquence, les revendications 12, 13 et 14 ont été déclarées nulles pour défaut de brevetabilité.
Article 52 de la Convention de Munich (CBE)
Principe fondamental
L'article 52 de la CBE est parfaitement clair et ne nécessite aucune interprétation : les programmes d'ordinateurs en tant que tels sont exclus de la brevetabilité et ce, pour la raison qu'ils sont couverts par le droit d'auteur.
Critique des "programmes-produits"
Il ne peut être prétendu comme seul moyen pour s'opposer à la demande de nullité que la pratique de l'OEB, qui admet des revendications de programmes d'ordinateurs en les baptisant "programmes-produits".
"En effet, il ne peut être admis qu'un simple artifice de langage permette de délivrer des brevets contra legem."
La délivrance de brevets pour des programmes d'ordinateurs, fussent-ils dénommés programmes produits, n'est en effet soutenue par aucun texte ou par aucune difficulté d'interprétation de la CBE et au contraire ceux-ci sont clairement exclus en tant que tels de la brevetabilité.
Contexte Historique : De 2005 à 2010
2005
Le projet de directive sur la brevetabilité des logiciels avait été rejeté.
2006
Lord Justice Jacobs relevait le caractère contradictoire des décisions de l'Office Européen des Brevets et rappelait que le Président de cet office avait le pouvoir de demander à la Grande Chambre de Recours de clarifier la situation. Le Président de l'époque Alain Pompidou déclinait l'offre.
2008
Madame Alison Brimelow devenue Présidente interrogeait la Grande Chambre de Recours.
12 mai 2010
La Grande Chambre de Recours de l'Office Européen des Brevets a répondu à la demande d'avis sur la brevetabilité des programmes d'ordinateur au regard de l'exclusion posée à l'article 52 de la Convention de Munich.
La Réponse de la Grande Chambre de Recours
12 mai 2010 - Une déclaration d'indépendance
Se limiter au résultat, le rejet de la demande au regard des dispositions de l'article 112 de la Convention, n'aurait que peu d'intérêt. À l'inverse, sa lecture complète est bien plus riche d'enseignements.
Une véritable déclaration d'indépendance
La réponse du 12 mai 2010 de la Grande Chambre de Recours de l'Office Européen des Brevets à la demande d'avis d'octobre 2008 de Madame Alison Brimelow constitue une véritable déclaration d'indépendance.
Conditions de l'article 112
Article 112 de la Convention :
"afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit
d'importance fondamentale se pose :
b) Le président de l'Office Européen des Brevets peut soumettre une question de droit
à la Grande Chambre de Recours lorsque deux chambres de recours ont rendu des décisions
divergentes sur cette question"
La Grande Chambre de Recours a rejeté cette demande d'avis au motif qu'elle ne remplit pas les conditions posées à l'article 112, considérant qu'il ne s'agissait pas de divergences entre les décisions rendues, mais simplement d'évolution.
Principe de Séparation des Pouvoirs
L'intérêt de cette réponse réside dans les principes avancés, la Grande Chambre de Recours se livrant dans ce rejet à une véritable déclaration d'indépendance :
Limitation des pouvoirs
- L'article 15 ne cite pas le Président de l'OEB
- Les pouvoirs du Président sont limités au management
Séparation des pouvoirs
Le principe de séparation des pouvoirs est cité pour s'opposer à cette demande du Président.
Questions soulevées par la Grande Chambre
- Quel serait le poids d'un tel avis auprès des juridictions nationales ?
- Par cette demande d'avis, le Président ne tenterait-il pas d'obtenir ce que ni le Parlement ni le Conseil n'avaient réussi à harmoniser en 2005 ?
Points clés à retenir
- L'article 52 de la CBE exclut clairement les programmes d'ordinateur de la brevetabilité
- Les "programmes-produits" constituent un artifice de langage contraire à la loi
- La Grande Chambre de Recours affirme son indépendance vis-à-vis du Président de l'OEB
- Le principe de séparation des pouvoirs limite les interventions présidentielles