Les marques sont, le plus souvent, des marques nationales. Elles peuvent être aussi des marques communautaires ou des marques internationales. Question récurrente pour les avocats : quel juge est compétent quand un conflit naît à propos de l’identité de leur titulaire ?
La réponse est à l’arrêt du 5 octobre 2017 de la Cour de Justice. L’arrêt du 5 octobre 2017 de la Cour de justice.
Brièvement les faits :
- 7 septembre 1979 : dépôt d’une marque Bénélux qui est enregistrée par l’office l’OBPI.
- 9 octobre 1995 : le titulaire de la marque décède.
- 14 novembre 2003 : l’héritière du défunt sollicité auprès de l’OBPI son inscription en tant que titulaire de la marque. L’OBPI effectue cette inscription.
Une société qui détient une marque portant probablement sur un signe proche conteste cette inscription
- 8 juin 2012 : la société engage une action contre l’héritière devant la juridiction allemande, le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), juridiction du lieu du domicile de celle-ci
- 24 juin 2015 : jugement du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) rejette cette demande. Pour le Tribunal, cette inscription est régulière la marque faisait partie du patrimoine du défunt à la date de son décès et avait régulièrement été transférée à l’héritière par voie de succession.
- La société fait appel devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) qui interroge la Cour de justice sur sa compétence, l’est-elle ou est-ce la juridiction des Pays-Bas en raison du siège de l’OBPI à La Haye ?
Deux articles du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont en cause ici.
Article 2
- Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
Article 22
« Sont seuls compétents, sans considération de domicile:
4) en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument communautaire ou d’une convention internationale.
Sans préjudice de la compétence de l’Office européen des brevets selon la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes, sans considération de domicile, en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État;
L’analyse de la Cour de justice : la notion de litige « en matière d’inscription ou de validité des [titres de propriété intellectuelle] » constitue une « notion autonome »
31 Il convient de faire observer, ensuite, que la notion de litige « en matière d’inscription ou de validité des [titres de propriété intellectuelle] », mentionnée auxdites dispositions, constitue une « notion autonome » destinée à recevoir une application uniforme dans tous les États membres ……
32 La Cour a, enfin, précisé qu’il importe que les dispositions qui imposent une compétence judiciaire exclusive, telles que l’article 16 de la convention de Bruxelles et l’article 22 du règlement no 44/2001, ne soient pas interprétées dans un sens plus étendu que ne le requiert leur objectif, dès lors qu’elles ont pour effet de priver les parties du choix du for qui autrement serait le leur et peuvent, dans certains cas, conduire à une situation dans laquelle les parties sont attraites devant une juridiction qui n’est la juridiction du domicile d’aucune d’entre elles.
33 L’objectif de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 consiste à réserver les litiges portant sur l’inscription ou la validité d’un titre de propriété intellectuelle aux juridictions qui ont une proximité matérielle et juridique avec le registre, ces juridictions étant les mieux placées pour connaître des cas dans lesquels la validité du titre, voire l’existence même de son dépôt ou de son enregistrement, est contestée ……………….
34 Dans ces conditions, la Cour a décidé, dans des affaires portant sur la compétence judiciaire dans le domaine des brevets, que, lorsque le litige ne porte ni sur la validité du brevet ni sur l’existence du dépôt ou de l’enregistrement de celui-ci, il ne relève pas de la notion de litige « en matière d’inscription ou de validité des brevets » et échappe, par conséquent, à la compétence exclusive des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le titre a été enregistré ……
35 Ne relève dès lors pas de cette compétence judiciaire exclusive un litige qui porte uniquement sur la question de savoir qui est le titulaire du droit au brevet ..…..
36 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 26 à 29 de ses conclusions, cette interprétation est transposable à une affaire relative à une marque, telle que celle au principal, qui ne concerne ni la validité ni l’enregistrement de la marque, mais porte uniquement sur la question de savoir si une personne dont le nom a été inscrit en tant que titulaire a bien cette qualité.
37 En effet, un litige qui ne comporte aucune contestation de l’enregistrement de la marque en tant que telle ou de la validité de celle-ci est étranger tant aux termes de litige « en matière d’inscription ou de validité des […] marques » figurant à l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 qu’à l’objectif de cette disposition. À cet égard, il y a lieu de faire observer que la question de savoir de quel patrimoine personnel relève un titre de propriété intellectuelle ne présente pas, en règle générale, un lien de proximité matérielle ou juridique avec le lieu de l’enregistrement de ce titre.
38 Tel semble être le cas en l’occurrence. En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le litige porte sur la propriété de la marque no 361604 à la suite du décès de M. Knipping, ce qui exige de déterminer si cette marque faisait partie du patrimoine de celui-ci au moment de son décès.
39 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’un litige, tel que celui en cause au principal, qui porte uniquement sur la question de savoir qui doit être considéré comme étant le titulaire de la marque en cause ne relève pas de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001.
40 Cette interprétation n’est pas infirmée par la circonstance que la législation de l’Union contient certaines dispositions permettant au titulaire d’un titre de propriété intellectuelle de réclamer le transfert à son profit de l’enregistrement initialement effectué au nom d’une autre personne.
41 À cet égard, la juridiction de renvoi se réfère en particulier à la législation sur la marque de l’Union européenne et souligne que l’article 18 du règlement no 207/2009 attribue notamment aux tribunaux des marques de l’Union européenne la compétence pour statuer sur une demande du titulaire d’une marque de voir transférer à son profit l’enregistrement de la marque effectué par un agent ou un représentant. Toutefois, alors que cette disposition a spécifiquement trait aux relations existant entre un agent ou un représentant et le titulaire d’une marque de l’Union européenne, il n’apparaît pas que le litige en cause au principal, qui concerne une marque Benelux, porte sur de telles relations.
42 S’agissant encore de la circonstance, également mentionnée dans la décision de renvoi, que, en matière de compétence judiciaire, la marque Benelux est caractérisée par certaines spécificités, il importe de relever que, contrairement à l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 14 juillet 2016, Brite Strike Technologies (C‑230/15, EU:C:2016:560), dans lequel la Cour a précisé la relation entre la règle de compétence judiciaire énoncée à l’article 4.6 de la CBPI et celle prévue à l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001, l’affaire au principal ne porte ni sur l’enregistrement ou la validité de la marque Benelux en question ni sur d’éventuelles atteintes à celle-ci, la demande de [ la société ] n’étant d’ailleurs, selon les informations fournies à la Cour, pas fondée sur une quelconque disposition matérielle de la CBPI. Dans ces conditions, les spécificités de la CBPI en matière de compétence judiciaire sont dépourvues de pertinence dans l’affaire au principal.
43 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas aux litiges visant à déterminer si une personne a été inscrite à juste titre en tant que titulaire d’une marque.
Ce que dit la Cour de Justice :
L’article 22, point 4, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas aux litiges visant à déterminer si une personne a été inscrite à juste titre en tant que titulaire d’une marque.