Protection du Secret des Affaires en Justice
Concilier transparence judiciaire et confidentialité des informations stratégiques
Le paradoxe judiciaire face au secret des affaires
Les débats judiciaires sont publics et chaque partie doit connaître l'argumentation qui lui est opposée. Le tribunal serait-il l'endroit où le secret n'a pas sa place ? En engageant une procédure judiciaire, l'entreprise ne risque-t-elle pas de rendre accessible à son concurrent des informations ou des données qu'elle considère comme secrètes et protégées par le secret des affaires ?
Mécanismes de protection des secrets d'affaires
1. Le cadre légal
Le décret et la loi française pris en application de la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets des affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites ont mis en place « des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales ». Ces dispositions ne s'appliquent pas au contentieux pénal.
2. Restriction d'accès aux pièces
Le juge, à la demande d'une partie, peut restreindre l'accès à certaines pièces aux seules personnes habilitées à assister ou représenter l'autre partie. Dans ce cas, l'avocat ne peut pas en faire de copie ou de reproduction et ne peut donc pas la communiquer à son client.
La partie qui demande cette confidentialité doit remettre au juge :
- La version confidentielle intégrale de la pièce
- Une version non confidentielle ou un résumé de cette pièce
- Un mémoire expliquant pour chaque information les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires
3. Organisation particulière des débats
Pour l'examen de cette pièce, le juge dispose de la faculté d'entendre séparément chacune des parties. Il n'y a pas à proprement dit d'audience pour ce débat, ce qui évite qu'à cette occasion le secret soit évincé. Cette procédure spéciale est pensée pour maintenir la confidentialité tout en permettant l'examen juridique nécessaire.
4. Modalités de communication des informations secrètes
Le juge peut refuser la communication d'une pièce s'il considère qu'elle n'est pas nécessaire à la solution du litige. Si certains éléments sont nécessaires tout en étant de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut ordonner la communication :
- De la version non confidentielle proposée par la partie qui la détient
- D'un résumé préparé par cette partie
- Selon des modalités que le juge fixe lui-même
Désignation de personnes autorisées
Dans le cas où la communication doit porter sur des données protégées par le secret des affaires, le juge va désigner quelles personnes physiques pourront avoir accès à cette pièce. L'autorisation du juge ne vaut que pour des personnes physiques nommément désignées.
Si la partie au procès qui demande la communication est une société, elle devra désigner précisément les personnes physiques qui pourront accéder à cette pièce. Ces personnes devront donner leur avis sur cette désignation, car l'accès à ces informations peut avoir des conséquences sur leurs fonctions ou leurs travaux ultérieurs.
Point important :
Ces personnes ne sont pas nécessairement des salariées de la société. La pratique pourrait montrer qu'il est préférable que ces personnes ne soient pas salariées de la société partie au litige. L'avocat représentant sa cliente au litige aura également accès à cette pièce.
5. Règles spécifiques aux décisions judiciaires
La décision du juge qui se prononce sur l'accès à une pièce dont le détenteur prétend qu'elle présente un caractère de secret des affaires pourra faire l'objet d'un appel selon des modalités différentes si cette décision intervient avant tout procès au fond ou lors de celui-ci.
Il est prévu que le jugement puisse être remis sous la forme d'extraits afin d'éviter la violation du secret. Une autre possibilité est la communication d'une version non confidentielle du jugement, dans laquelle les informations couvertes par le secret des affaires sont occultées.
Dispositions spécifiques :
Des mesures sont prévues pour garantir par avance, en cas de demande de saisie sur requête (sans que l'autre partie soit entendue), que les pièces saisies seront d'office placées sous séquestre provisoire afin d'assurer la protection du secret des affaires. Ces dispositions s'appliquent à la requête générale de l'article 145 du code de procédure civile et à la saisie-contrefaçon dont bénéficient les titulaires des droits de propriété industrielle.
Protection après jugement
Ces mesures de protection du secret des affaires ont vocation à s'appliquer après le prononcé du jugement, sauf si une juridiction décide qu'il n'existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles.
En résumé
La législation française, en application de la directive européenne du 8 juin 2016, offre un cadre structuré permettant de concilier deux principes fondamentaux : la transparence des débats judiciaires et la protection des secrets d'affaires. Par une procédure spécifiquement encadrée, les entreprises peuvent désormais s'engager dans des litiges judiciaires avec une meilleure garantie de protection pour leurs informations stratégiques et confidentielles.