IA et Propriété Intellectuelle
Enjeux Juridiques des Technologies Génératives
Défis du Droit d'Auteur à l'Ère de l'IA
À se limiter ici aux seuls auteurs, les IA génératives reposent sur l'emploi massif d'œuvres protégées.
Différentes problématiques attachées au droit d'auteur sont dès à présent identifiées auxquelles les acteurs économiques sont confrontés :
- L'entraînement des modèles et son articulation avec les exceptions de fouille de textes et de données (TDM) et l'opt-out
- La transparence et la traçabilité des bibliothèques ou corpus
- La qualification et la protection des documents générés par ces IA
- Les mécanismes de rémunération en direction des auteurs éventuellement de licensing, y compris le droit voisin de la presse
- La responsabilité et la gestion du risque de reproduction substantielle de ces IA génératives.
Si l'usager n'apparaît a priori concerné que par le dernier aspect, sa situation en bout de chaîne de valeur l'expose à toutes défaillances des opérateurs antérieurs.
À partir d'un ensemble réglementaire qui s'étoffe, des premières décisions rendues, et de la recherche de solutions contractuelles, la tendance n'est plus à une "dérogation de l'IA", mais vers une IA responsable avec :
- Des sources licites
- Des dispositifs techniques d'opt-out effectifs
- De transparence des jeux d'entraînement
- De mécanismes de rémunération, en particulier pour la presse.
C'est aussi un vaste champ contractuel à élaborer pour les entreprises qui utilisent les IA génératives.
Cadre Réglementaire Européen
En Europe, la Directive 2019/790 a instauré deux exceptions TDM et le Règlement IA (AI Act) impose aux fournisseurs de GPAI une synthèse des données d'entraînement et le respect des règles de droit d'auteur.
Directive (UE) 2019/790 – Articles 3 et 4 : Deux Exceptions au Droit des Auteurs
Article 3
L'article 3 crée une exception obligatoire de text and data mining (TDM) pour la recherche scientifique (les « organismes de recherche et institutions patrimoniales »).
Article 4
L'article 4 instaure une exception TDM plus large pour tout usage licite, sous réserve que les titulaires puissent s'y opposer par des moyens "lisibles par machine" pour les contenus mis à disposition du public en ligne, cette possibilité accordée aux titulaires de droit est généralement dénommée opt-out.
Autrement dit, ce signal d'opt-out qui doit être accessible aux robots et aux métadonnées, ne neutralise que l'exception TDM de l'article 4 pour l'usage d'entraînement, ce qui techniquement nécessite qu'il ne bloque pas la « Fouille de textes et de données à des fins de recherche scientifique ».
« Cette fouille de textes et de données » a ouvert une voie légitime aux développeurs de l'IA.
Textes Juridiques de Référence
Article 3 - Fouille de textes et de données à des fins de recherche scientifique
1. Les États membres prévoient une exception aux droits prévus à l'article 5, point a), et à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, à l'article 2 de la directive 2001/29/CE et à l'article 15, paragraphe 1, de la présente directive pour les reproductions et les extractions effectuées par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel, en vue de procéder, à des fins de recherche scientifique, à une fouille de textes et de données sur des œuvres ou autres objets protégés auxquels ils ont accès de manière licite.
2. Les copies des œuvres ou autres objets protégés effectuées dans le respect du paragraphe 1 sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.
3. Les titulaires de droits sont autorisés à appliquer des mesures destinées à assurer la sécurité et l'intégrité des réseaux et des bases de données où les œuvres ou autres objets protégés sont hébergés. Ces mesures n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
4. Les États membres encouragent les titulaires de droits, les organismes de recherche et les institutions du patrimoine culturel à définir d'un commun accord des bonnes pratiques concernant l'application de l'obligation et des mesures visées aux paragraphes 2 et 3, respectivement.
Article 4 - Exception ou limitation pour la fouille de textes et de données
1. Les États membres prévoient une exception ou une limitation aux droits prévus à l'article 5, point a), et à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, à l'article 2 de la directive 2001/29/CE, à l'article 4, paragraphe 1, points a) et b), de la directive 2009/24/CE et à l'article 15, paragraphe 1, de la présente directive pour les reproductions et les extractions d'œuvres et d'autres objets protégés accessibles de manière licite aux fins de la fouille de textes et de données.
2. Les reproductions et extractions effectuées en vertu du paragraphe 1 peuvent être conservées aussi longtemps que nécessaire aux fins de la fouille de textes et de données.
3. L'exception ou la limitation prévue au paragraphe 1 s'applique à condition que l'utilisation des œuvres et autres objets protégés visés audit paragraphe n'ait pas été expressément réservée par leurs titulaires de droits de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.
4. Le présent article n'affecte pas l'application de l'article 3 de la présente directive.
Transposition en Droit Français
En droit interne, la transposition de la directive s'est faite par deux ordonnances :
Ordonnance n° 2021-580
L'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 en particulier pour la responsabilité des plateformes (article 17) et les dispositions traitant des auteurs (articles 18 à 23).
Ordonnance n° 2021-1518
L'ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 adapte des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins.
Le Droit Voisin des Éditeurs de Presse
La France a introduit un droit voisin pour les éditeurs de presse (CPI L218-1 s.) obligeant leur autorisation et leur rémunération pour la réutilisation d'extraits d'articles.
Règlement IA (UE) 2024/1689
Le RAI [Règlement (UE) 2024/1689] impose aux fournisseurs de modèles d'IA à usage général (GPAI) des obligations de transparence, dont :
- Une synthèse des données d'entraînement "adéquate".
- Des obligations liées au respect du droit d'auteur, notamment l'effectivité des opt-out TDM en Europe.
Un Code de bonne conduite a été publié le 10 juillet 2025.
Procédures Juridiques en Cours
Parallèlement, plusieurs procédures sont en cours :
- Copies massives d'articles de presse pour l'entraînement et la reproduction d'articles en sortie.
- Actions fondées sur des atteintes aux droits d'auteur, droit de marques, droit des bases de données ou encore concurrence déloyale.
- Contrefaçon de masse de phonogrammes pour entraîner des générateurs de musique, avec là aussi la problématique du style et de la similarité des sorties.
- Actions d'auteurs des arts visuels.
Vers un Marché des Licences
Des Accords qui Pourraient Orienter la Solution
Plusieurs organes de presse, agences de presse ou éditeurs de presse ont passé des accords avec les entreprises de l'IA génératives.
Plusieurs aspects peuvent être traités dans ces accords :
Solutions Collectives
Les sociétés de gestion collective de droits d'auteur proposent différents mécanismes juridiques ou techniques.
Conclusion
L'évolution vers une IA responsable nécessite une approche juridique structurée, intégrant les nouvelles obligations réglementaires européennes et les solutions contractuelles émergentes. Les entreprises utilisatrices d'IA générative doivent désormais élaborer des stratégies juridiques adaptées à ce nouveau paysage normatif.