Dépôt de brevet : un droit de priorité pour quel autre droit et sous quel délai ?

Le droit de priorité attaché à une demande de brevet est généralement utilisé à l’appui de son extension internationale (PCT, EuroPCT  ) et quelque fois à des demandes nationales. Mais ce droit de priorité peut aussi être retenu à l’appui d’un droit de propriété industrielle d’une autre nature, on songe au modèle d’utilité.

Mais qu’en est-il d’un dessin et modèle ?

L’arrêt du 14 avril 2021 du Tribunal de l’Union illustre cette situation. L’arrêt

24 octobre 2018 :       K….. dépose une demande d’enregistrement multiple concernant douze dessins ou modèles communautaires

K ….. invoque une priorité pour l’ensemble de ces dessins ou modèles,

K …… désigne comme priorité la demande PCT/EP2017/077469, déposée le 26 octobre 2017 auprès l’OEB.

Positions de l’examinateur de l’EUIPO :

  • 31 octobre 2018 : l’examinateur de l’EUIPO rejette le droit de priorité

« la date du dépôt antérieur précédait de plus de six mois la date de dépôt de la demande multiple ».

  • 16 janvier 2019 : l’examinateur maintient sa décision de rejet.

13 juin 2019 : la Chambre de recours rejette le recours de K……

L’affaire vient devant le Tribunal de l’Union.

La demande PCT peut constituer au sens du règlement communautaire un droit de priorité pour une demande de modèle

50      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en traitant la revendication du droit de priorité fondée sur la demande internationale de brevet déposée par la requérante en vertu du PCT comme étant régie par l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 pour ce qui concerne la question de savoir si un droit de priorité peut être fondé sur une telle demande internationale de brevet.

Mais quel délai appliquer à ce droit de priorité : 6 mois ( celui des modèles ) ou 1 an ( celui des brevets) .

  • Position du déposant : 1 an

51      …. considère que, le délai de six mois prévu à l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’étant pas applicable en l’espèce, la chambre de recours aurait dû recourir aux règles de la convention de Paris, laquelle, à son article 4, section C, paragraphe 1, prévoit un délai de douze mois pour un droit de priorité fondé sur une demande de brevet.

  • Pour l’EUIPO, : 6 mois

52 : …. interprétation du règlement no 6/2002 retenue par la chambre de recours, selon laquelle les conditions pour la revendication d’un droit de priorité sont établies de manière exhaustive par ce règlement et reflètent les dispositions de la convention de Paris, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de se référer à cette dernière.)

  • Ce que dit le Tribunal : le règlement  connait une lacune comblée par la Convention d’union de Paris

64      C’est donc à bon droit que la requérante soutient que, dès lors que le délai de priorité découlant d’une demande internationale de brevet antérieure n’est pas prévu par le règlement no 6/2002, il y a lieu de recourir à la réglementation sous-jacente à celui-ci, à savoir la convention de Paris, dont doivent être prises en compte, en tant que référence pour l’interprétation de ce règlement et à titre complémentaire, les dispositions relatives à la détermination du délai de revendication de la priorité fondée sur le dépôt d’une demande de brevet dans le cadre d’une demande postérieure de dessin ou modèle.

65      Enfin, il convient d’observer que la chambre de recours, tout en admettant, pour les mêmes motifs que la requérante, que la convention de Paris s’appliquait mutatis mutandis à l’Union européenne, a considéré, dans ce contexte, qu’il n’existait aucune primauté de cette convention sur les dispositions du règlement no 6/2002, au motif que celui-ci ne constituait pas un arrangement particulier au sens de l’article 19 de ladite convention, et que l’opposabilité d’un droit de priorité devrait être appréciée uniquement au regard dudit règlement.

66      Or, quant à la question du délai de priorité dans des circonstances telles que celles de l’espèce, il ne s’agit pas d’une question de primauté de la convention de Paris sur le règlement no 6/2002. En effet, comme il ressort des points 56 et 57 ci-dessus, le recours à cette convention vise à combler une lacune dudit règlement, lequel est muet quant au délai de priorité découlant d’une demande internationale de brevet.

Et la solution qui ne va pas de soi (à lire les importants développements du Tribunal)  sur la durée du délai à prendre en compte.

75      Se pose dès lors la question de savoir si l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris, en tant que seule règle expresse concernant le cas de deux demandes successives portant sur des droits auxquels sont attachés des délais de priorité différents, reflète une règle générale selon laquelle le délai de priorité découlant de la nature du droit ultérieur serait déterminant ou si, au contraire, il s’agit d’une exception à une règle générale selon laquelle ce serait la nature du droit antérieur qui déterminerait la durée du délai de priorité.

  • Une règle générale

76      La requérante, en s’appuyant sur deux ordonnances du Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets) du 10 novembre 1967 et des articles de doctrine allemands, avance qu’il convient, en ce qui concerne le délai de priorité, de se fonder sur le droit antérieur dans le cas de priorités revendiquées pour des droits de protection de natures différentes. Dans lesdites ordonnances, le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets) cite notamment le mémorandum sur l’Acte additionnel de Bruxelles (Denkschrift zur Brüsseler Zusatzakte), un document explicatif de 1903 concernant la révision, lors de la conférence de Bruxelles de 1900, de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883, dont il ressortirait que l’économie des priorités internationales était de permettre à ceux qui visaient à obtenir la protection internationale de droits industriels de procéder par étapes en faisant dépendre la demande dans d’autres États du succès de la première demande, normalement domestique. Selon ledit document, c’était dans cette optique que le délai du droit de priorité fondé sur un brevet avait dû être porté de six à douze mois, car, notamment en Allemagne, la première phase de l’examen de la possibilité de protection d’un brevet aurait déjà duré, à elle seule, sept mois.

77      Il ressort de la logique inhérente au système des priorités que, en règle générale, c’est la nature du droit antérieur qui détermine la durée du délai de priorité. À cet égard, il convient de relever que la raison pour laquelle, conformément à l’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris, le délai de priorité applicable aux brevets et aux modèles d’utilité est plus long que celui applicable aux dessins ou modèles ainsi qu’aux marques résulte de la nature plus complexe des brevets et des modèles d’utilité. En effet, étant donné que, selon l’article 4, section C, paragraphe 2, de la convention de Paris, le délai de priorité commence à courir dès le dépôt de la première demande et que la procédure d’enregistrement des brevets ou des modèles d’utilité est plus longue que celle des dessins ou modèles ou des marques, le droit de priorité résultant du dépôt d’une demande de brevet ou de modèle d’utilité risquerait de se périmer si le même délai, relativement court, de six mois était appliqué à tous les droits pouvant faire naître un droit de priorité. Or, l’avantage que le droit de priorité est censé procurer est de permettre au demandeur d’évaluer les chances d’obtenir une protection pour l’invention concernée sur la base de la demande antérieure de brevet déposée dans un État avant de chercher éventuellement, par une demande ultérieure, à obtenir la protection dans un autre État en accomplissant les démarches et les préparatifs nécessaires et en exposant les coûts et les formalités y afférents. À cet égard, s’agissant des marques, le Tribunal a déjà rappelé que les rédacteurs de la convention de Paris ont voulu permettre que l’un des bénéficiaires du droit d’un des États parties à cette convention, face à l’impossibilité de déposer simultanément une marque dans tous ces États, puisse demander son enregistrement successivement dans lesdits États en donnant ainsi une dimension internationale à la protection obtenue dans un de ceux-ci sans qu’il y ait une multiplication de formalités à accomplir (arrêt du 15 novembre 2001, TELEYE, T‑128/99, EU:T:2001:266, point 38).

78      En outre, il apparaît cohérent que la nature du droit antérieur détermine la durée du délai de priorité, puisque, comme l’a constaté le Tribunal dans le contexte du droit des marques (arrêt du 15 novembre 2001, TELEYE, T‑128/99, EU:T:2001:266, point 42), c’est la demande d’enregistrement de ce droit antérieur qui fait naître le droit de priorité. Par ailleurs, c’est à partir de la date du dépôt de ladite demande que le délai de priorité commence à courir. Si la naissance même du droit de priorité ainsi que le début du délai dudit droit dépendent du droit antérieur et de la demande d’enregistrement de celui-ci, il est logique que la durée du droit de priorité dépende, elle aussi, du droit antérieur. En revanche, aucun élément ne permet de présumer que la durée du droit de priorité dépendrait, en règle générale, du droit ultérieur.

79      Cela est confirmé par les travaux préparatoires de la première révision de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883, ayant eu lieu en 1900. En effet, il ressort des matériaux et des procès-verbaux de la conférence réunie à Bruxelles du 1er au 14 décembre 1897 et du 11 au 14 décembre 1900, notamment d’une vue d’ensemble du point 1 du mémoire présenté par la délégation allemande lors de la réunion préparatoire du 1er décembre 1897, du procès-verbal de la quatrième séance du 7 décembre 1897 ainsi que du procès-verbal de la deuxième séance du 12 décembre 1900 (voir Actes de la Conférence réunie à Bruxelles du 1 er au 14 décembre 1897 et du 11 au 14 décembre 1900, Union internationale pour la protection de la propriété industrielle, Berne, 1901, ci-après les « actes de la conférence de Bruxelles », respectivement p. 169, p. 209 à 212 et p. 379 à 382), que le délai de priorité a été prolongé de six à douze mois pour le droit de priorité fondé sur un brevet au motif que l’examen préalable auquel les demandes de brevet étaient soumises notamment selon les législations allemande, autrichienne et hongroise exigeait plus de temps. De ce fait, les États concernés s’estimaient empêchés d’adhérer à ladite convention en raison de la durée, selon eux, trop brève du délai de priorité pour les brevets, puisque la durée de l’examen préalable dépassait presque toujours celle du délai de priorité (voir actes de la conférence de Bruxelles, p. 37). La prolongation du délai de priorité pour les brevets avait été proposée par le Bureau international de l’Union internationale pour la protection de la propriété industrielle « pour tenir compte des besoins spéciaux des pays où l’examen préalable [était] pratique » (voir actes de la conférence de Bruxelles, p. 144) et, par la suite, acceptée et mise en œuvre par l’article 1er, sous II, de l’acte additionnel du 14 décembre 1900 modifiant la convention du 20 mars 1883 (voir actes de la conférence de Bruxelles, p. 410).

80      L’ensemble de ces éléments confirment que, selon le concept à l’origine du système des délais de priorité, c’est bien le droit antérieur qui est déterminant pour la durée du délai de priorité.

  • Une règle spéciale prévue que pour le modèle d’utilité

81      En outre, le fait que l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris se présente comme une règle spéciale qui constitue une exception au principe selon lequel, pour établir la durée du délai de priorité, la nature du droit antérieur est déterminante résulte du libellé même de cette disposition. En effet, le mot « lorsque », signifiant, dans le contexte de ladite disposition, « au cas où », indique que cette règle n’est d’application que dans le cas de figure énoncé expressément. De même, la formulation négative exprimée par les termes « ne sera que » indique le caractère exceptionnel de la détermination de la durée du délai de priorité par référence au droit ultérieur, à savoir les dessins ou modèles, par dérogation à la règle générale.

82      La nature d’exception de l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris ressort également d’une analyse historique, qui révèle que l’article 4, section E, de ladite convention a été conçu pour être appliqué exclusivement aux modèles d’utilité. L’article 4, section E, de la convention de Paris a été adopté en 1925. L’insertion de cette règle relative aux modèles d’utilité s’était avérée opportune après que, en 1911, le champ d’application de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883 avait été élargi pour y inclure lesdits modèles d’utilité en les faisant figurer dans l’énumération des droits de propriété industrielle dont ladite convention garantissait la protection en vertu de son article 2 (devenu article 1er, paragraphe 2, de la convention de Paris). L’ajout, en 1925, de ladite section E à l’article 4 permettait d’éviter qu’un modèle d’utilité publié de longue date, auquel aurait été applicable le délai de douze mois tel que prévu à l’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris, ne fasse l’objet d’un nouveau dépôt en tant que dessin ou modèle.

83      La requérante avance donc à bon droit que la différence de traitement prévue dans le cas particulier de l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris entre les brevets et les modèles d’utilité s’explique, notamment, par la durée différente de leurs procédures d’enregistrement respectives, puisque les modèles d’utilité sont enregistrés et publiés après un examen formel succinct, alors que les demandes de brevets ne sont généralement pas publiées avant l’expiration du délai de priorité de douze mois. Ainsi, cette section n’était pas censée produire des effets au-delà des cas impliquant des modèles d’utilité, contrairement à ce que semble suggérer l’EUIPO, qui propose d’appliquer au dépôt d’une demande internationale de brevet le délai de six mois prévu à l’article 41 du règlement no 6/2002 pour le dépôt d’une demande de modèle d’utilité, lequel refléterait fidèlement l’article 4, section E, de la convention de Paris.

84      En ce qui concerne la succession, comme en l’espèce, d’une demande de brevet antérieure et d’une demande de dessin ou modèle ultérieure, la requérante avance à bon droit que l’objectif sous-tendant l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris ne concerne pas les demandes de brevets. En effet, le risque qu’un brevet publié de longue date fasse l’objet d’un nouveau dépôt en tant que dessin ou modèle est quasi inexistant, ce que confirme la présente affaire, où la requérante avait déposé la demande de brevet PCT/EP2017/077469 auprès de l’OEB le 26 octobre 2017, tandis que l’article 93, paragraphe 1, de la convention sur la délivrance de brevets européens, du 5 octobre 1973, ne prévoit une publication qu’après 18 mois à compter de la date du dépôt.

85      Force est de constater que les arguments que l’EUIPO avance pour soutenir la position contraire ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion selon laquelle la règle générale qui sous-tend la convention de Paris est que la nature du droit antérieur est décisive pour la détermination de la durée du délai de priorité. En particulier, l’EUIPO ne fait valoir aucun argument susceptible d’établir que la règle spéciale créée pour les modèles d’utilité devrait s’appliquer également aux brevets.

86      Par conséquent, il convient de conclure que la chambre de recours a commis une erreur en considérant que le délai applicable à la revendication, par la requérante, de la priorité de la demande internationale de brevet PCT/EP2017/077469 pour l’ensemble des douze dessins ou modèles dont elle a demandé l’enregistrement était de six mois.