La Grande Chambre de la Cour de Justice reconnaît une erreur à l’arrêt Neurim

L’arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la Cour de justice est particulièrement important.  

La Grande Chambre reconnaît une erreur de la 4ème Chambre à  l’arrêt Neurim du 19 juillet 2012 à propos des AMMs qui peuvent conduire au rejet  de la demande de CCP même si ces AMMs n’entrent pas dans le champs du brevet de base.

L’arrêt du 9 juillet 2020

Pour rappel dans l’arrêt Neurim, la 4ème Chambre de la Cour de justice avait considéré qu’une AMM antérieure pour une application vétérinaire ne faisait pas obstacle à une demande de CCP fondée sur une AMM postérieure pour une application humaine. l’arrêt Neurim

25      Dès lors, si un brevet protège une application thérapeutique nouvelle d’un principe actif connu et qui a déjà été commercialisé sous la forme d’un médicament, à usage humain ou animal, visant d’autres indications thérapeutiques, qu’elles aient été ou non protégées par un brevet antérieur, la mise sur le marché d’un nouveau médicament exploitant commercialement la nouvelle application thérapeutique du même principe actif, telle que celle-ci est protégée par le nouveau brevet, peut permettre à son titulaire d’obtenir un CCP dont l’étendue de protection, en tout état de cause, pourra couvrir non pas le principe actif en tant que tel, mais uniquement l’utilisation nouvelle de ce produit.

26      Dans une telle situation, seule l’AMM du premier médicament, contenant le produit et autorisé pour une utilisation thérapeutique correspondant à celle protégée par le brevet invoqué à l’appui de la demande de CCP, pourra être considérée comme première AMM de «ce produit» en tant que médicament exploitant cette nouvelle utilisation au sens de l’article 3, sous d), du règlement CCP.

27      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions que les articles 3 et 4 du règlement CCP doivent être interprétés en ce sens que, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, la seule existence d’une AMM antérieure obtenue pour le médicament à usage vétérinaire ne s’oppose pas à ce que soit délivré un CCP pour une application différente du même produit pour laquelle a été délivrée une AMM, pourvu que cette application entre dans le champ de la protection conférée par le brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP.

La chronologie

10 octobre 2015 : dépôt de la demande de brevet. « qui protège notamment une émulsion ophtalmique dans laquelle le principe actif est la ciclosporine, un agent immunosuppresseur ».

S…. est titulaire du brevet.

19 mai 2015 : AMM délivrée par l’EMA pour un « médicament commercialisé sous le nom d’« Ikervis » dont le principe actif est la ciclosporine. Ce médicament sert à traiter la kératite sévère chez des patients adultes présentant une sécheresse oculaire qui ne s’améliore pas malgré l’instillation de substituts lacrymaux, provoquant une inflammation de la cornée. »

3 juin 2015 : S…. dépose une demande de CCP sur la base du brevet et de l’AMM.

6 octobre 2017 : rejet de la demande par l’INPI, la première n’est pas cette AMM, mais une du 23 décembre 1987 : «  un médicament, commercialisé sous le nom de « Sandimmun », dont le principe actif était également la ciclosporine. Ce médicament se présentait sous forme buvable et était indiqué pour la prévention du rejet de greffes d’organes solides ou de moelle osseuse ainsi que pour d’autres usages thérapeutiques, notamment pour le traitement de l’uvéite endogène, une inflammation de tout ou partie de l’uvée, partie centrale du globe oculaire ».

Recours de S…… devant la Cour de Paris.

9 octobre 2018 : demande de questions préjudicielles par la Cour de Paris.

« 1)      La notion d’“application différente”, au sens de l’[arrêt Neurim], doit-elle s’entendre de manière stricte, c’est-à-dire :

–        être limitée au seul cas d’une application humaine faisant suite à une application vétérinaire ;

–        ou concerner une indication relevant d’un nouveau champ thérapeutique, au sens d’une nouvelle spécialité médicale, par rapport à l’AMM antérieure, ou un médicament dans lequel le principe actif exerce une action différente de celle qu’il exerce dans le médicament ayant fait l’objet de la première AMM ;

–        ou plus généralement, au regard des objectifs du [règlement nº 469/2009] visant à mettre en place un système équilibré prenant en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, être appréciée selon des critères plus exigeants que ceux présidant à l’appréciation de la brevetabilité de l’invention ?

Ou doit-elle au contraire s’entendre de manière extensive, c’est-à-dire incluant non seulement des indications thérapeutiques et des maladies différentes, mais encore des formulations, posologies et/ou modes d’administration différents ?

2)      La notion d’“application entrant dans le champ de protection conférée par le brevet de base”,  au sens de l’[arrêt Neurim], implique-t-elle que la portée du brevet de base devrait concorder avec celle de l’AMM invoquée et, par conséquent, se limiter à la nouvelle utilisation médicale correspondant à l’indication thérapeutique de ladite AMM ? »

Pour la Cour de Paris, S…. et l’INPI s’opposent sur le sens à donner à l’arrêt Neurim ( l’article 3 du règlement no 469/2009) .

– « application différente du même produit »

Pour l’INPI : interprétation stricte. »L’AMM invoquée devrait concerner soit une indication relevant d’un nouveau champ thérapeutique, au sens d’une nouvelle spécialité médicale, par rapport à l’AMM antérieure, soit un médicament dans lequel le principe actif exerce une action différente de celle qu’il exerce dans le médicament ayant fait l’objet de la première AMM ».

Cette interprétation stricte se poursuivrait également en comprenant la notion de « nouvelle utilisation thérapeutique » comme devant «  être appréciée selon des critères plus exigeants que ceux qui servent à l’appréciation de la brevetabilité d’une nouvelle application thérapeutique »

Pour S… la notion d’« application [thérapeutique] différente », …, doit s’entendre de manière large, en incluant non seulement des indications thérapeutiques et des usages pour des maladies différentes, mais encore des formulations, des posologies et des modes d’administration différents. »

–  « application [entrant] dans le champ de protection conférée par le brevet de base »,

Ce serait ici pour répondre à une interrogation de l’INPI  «  d’une part, de quelle manière établir le lien entre l’application thérapeutique différente et ce brevet ainsi que, d’autre part, si la portée dudit brevet doit correspondre à celle de l’AMM invoquée et, partant, se limiter à la nouvelle application thérapeutique correspondant à l’indication de cette AMM. »

Ce qui factuellement, s’exprime ainsi :

36      Or, il importe d’avoir égard à la circonstance que, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi doit décider si une demande de CCP portant sur la ciclosporine, pour son utilisation dans le traitement de la kératite, peut être acceptée sur le fondement de l’AMM en cause, laquelle a été délivrée pour l’Ikervis le 19 mars 2015, alors même que le 23 décembre 1983, une AMM avait déjà été délivrée pour une autre application thérapeutique de la ciclosporine.

On notera que la 1ère AMM retenue par l’INPI étant antérieure au 1er janvier 1985, elle échapperait au règlement 469/2009. Cet argument opposé par le gouvernement NL pour rendre irrecevable cette demande de la juridiction française n’a pas été retenu par la Cour de justice.

La Grande Chambre de la CJUE fait preuve de pédagogie.

  • Le sens de l’article 3 d)

37      Ainsi, afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient d’examiner si l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’une AMM peut être considérée comme étant la première AMM, au sens de cette disposition, lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique.

  • Produit ?

40      Aux termes de cette disposition, on entend par « produit », le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament.

41      En l’absence de toute définition de la notion de « principe actif » dans le règlement no 469/2009, la détermination de la signification et de la portée de ces termes doit être établie en considération du contexte général dans lequel ils sont utilisés et conformément à leur sens habituel dans le langage courant ………….

42      À cet égard, la Cour a déjà jugé que la notion de « principe actif » n’inclut pas, dans son acception commune en pharmacologie, les substances entrant dans la composition d’un médicament qui n’exercent pas une action propre sur l’organisme humain ou animal………….et que cette notion, aux fins de l’application du règlement no 469/2009, se rapporte aux substances produisant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique propre ………..Il s’ensuit que ladite notion renvoie aux substances qui ont au moins un effet thérapeutique propre.

  • Le critère relatif aux « applications thérapeutiques » serait-il indifférent car inclus dans la notion de « produit » ?

43      Par ailleurs, il résulte d’une lecture conjointe de l’article 1er, sous b), et de l’article 4 du règlement no 469/2009 que la notion de « produit » s’entend, aux fins de l’application dudit règlement, du principe actif ou de la composition de principes actifs d’un médicament, sans qu’il y ait lieu d’en limiter la portée à une seule des applications thérapeutiques auxquelles un tel principe actif, ou qu’une telle combinaison de principes actifs, peut donner lieu.

44      En effet, selon ledit article 4, la protection conférée au produit par le CCP, si elle ne s’étend qu’au seul produit couvert par l’AMM, vaut en revanche pour toute utilisation de ce produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration du CCP. Il s’ensuit que la notion de « produit », au sens du règlement no 469/2009, n’est pas dépendante de la manière dont ce produit est utilisé et que la destination du médicament ne constitue pas un critère déterminant pour la délivrance d’un CCP …………

45      Une telle interprétation est corroborée par l’analyse de la genèse du règlement no 469/2009. Ainsi, le point 11 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement (CEE) du Conseil, du 11 avril 1990, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments [COM(90) 101 final], à l’origine du règlement no 1768/92, lui-même abrogé et remplacé par le règlement no 469/2009, indique que le terme « produit » est entendu au sens strict de principe actif et que des changements mineurs apportés au médicament, tels un nouveau dosage, l’emploi d’un sel ou d’un ester différent ou encore une forme pharmaceutique différente, ne sont pas susceptibles de donner lieu à un nouveau CCP ……….

46      Or, cette conception stricte de la notion de « produit » s’est matérialisée à l’article 1er, sous b), du règlement no 469/2009, lequel définit ladite notion par référence à un principe actif ou à une composition de principes actifs et non pas à l’application thérapeutique d’un principe actif protégé par le brevet de base ou d’une combinaison de principes actifs protégée par ledit brevet.

47      Il découle des considérations qui précèdent que l’article 1er, sous b), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que le fait qu’un principe actif, ou une combinaison de principes actifs, soit utilisé aux fins d’une nouvelle application thérapeutique ne lui confère pas la qualité de produit distinct dès lors que le même principe actif, ou la même combinaison de principes actifs, a été utilisé aux fins d’une autre application thérapeutique déjà connue.

  • Une AMM qui n’entre pas dans le champs du brevet de base, peut-elle exclure que l’AMM qui elle entre dans le champs de base soit retenue valablement à la demande de CCP ?

L’ AMM qui peut conduire au rejet de la demande de CPP n’est pas nécessairement dans le champs du brevet

48      En second lieu, il convient de déterminer si une AMM délivrée pour une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, peut être considérée comme étant la première AMM délivrée pour ce produit en tant que médicament, au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009, dans le cas où cette AMM est la première AMM à relever du champ de protection du brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP.

49      Selon la condition de délivrance d’un CCP posée à cette disposition, l’AMM obtenue pour le produit faisant l’objet de la demande de CCP doit, à la date de cette demande, être la première AMM de ce produit en tant que médicament dans l’État membre où est présentée ladite demande.

50      À cet égard, le libellé de ladite disposition ne se réfère pas au champ de protection du brevet de base.

  • La Cour de justice contredit son analyse de l’arrêt Neurim

51      En outre, à la lumière de la définition stricte de la notion de « produit », au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 469/2009, résultant des points 40 à 45 du présent arrêt, l’analyse des termes de l’article 3, sous d), de ce règlement suppose que la première AMM du produit en tant que médicament, au sens de cette disposition, désigne la première AMM d’un médicament incorporant le principe actif ou la combinaison de principes actifs en cause…, et ce quelle qu’ait été l’application thérapeutique de ce principe actif, ou de cette combinaison de principes actifs, pour laquelle cette AMM a été obtenue.

52      Or, considérer que la notion de « première AMM du produit en tant que médicament », au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009 vise exclusivement la première AMM à relever du champ de protection du brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP conduirait nécessairement à remettre en question cette définition stricte de la notion de « produit », au sens de l’article 1er, sous b), de ce règlement, dès lors qu’il est possible, comme le précise l’article 1er, sous c), dudit règlement, que le brevet de base en question ne couvre qu’une application thérapeutique du produit en cause. En effet, si tel était le cas, cette application thérapeutique pourrait justifier l’octroi d’un CCP en dépit de la circonstance que le même principe actif, ou la même combinaison de principes actifs, fait l’objet d’une autre application thérapeutique déjà connue et ayant donné lieu à une AMM antérieure.

53      Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a jugé la Cour au point 27 de l’arrêt Neurim, pour définir la notion de « première [AMM] du produit, en tant que médicament », au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009, il n’y a pas lieu de prendre en compte le champ de protection du brevet de base.

La Cour dans cet arrêt du 9 juillet s’appuie sur le but recherché par le règlement.

54      De même, une analyse des objectifs du règlement no 469/2009 confirme cette interprétation.

55      Ainsi, il résulte du point 11 de l’exposé des motifs visé au point 45 du présent arrêt que le législateur de l’Union a entendu, en instituant le régime du CCP, favoriser la protection non pas de toute recherche pharmaceutique donnant lieu à la délivrance d’un brevet et à la commercialisation d’un nouveau médicament, mais de celle qui conduit à la première mise sur le marché d’un principe actif ou d’une combinaison de principes actifs en tant que médicament.

56      Or, il serait porté atteinte à un tel objectif s’il était possible, aux fins de remplir la condition prévue à l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009, de tenir compte uniquement de la première AMM à relever du champ de protection du brevet de base couvrant une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif donné, ou d’une combinaison de principes actifs donnée, et de faire abstraction d’une AMM délivrée antérieurement pour une autre application thérapeutique du même principe actif ou de la même combinaison…………

57      Cette interprétation permet encore de concilier de façon équilibrée, d’une part, l’objectif du régime de CCP, tel qu’il ressort des considérants 3 à 5 et 9 du règlement no 469/2009, consistant à pallier l’insuffisance de la protection conférée par le brevet à amortir les investissements effectués dans la recherche de nouveaux principes actifs ou combinaisons de principes actifs et, partant, à encourager cette recherche ainsi que, d’autre part, l’intention du législateur de l’Union, telle qu’elle résulte du considérant 10 dudit règlement, d’atteindre cet objectif de manière à tenir compte de tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique ………….

La Cour de justice le dit en termes clairs.

60      …………, doit être écartée et qu’une AMM pour une application thérapeutique d’un produit ne saurait être considérée comme la première AMM de ce produit en tant que médicament, au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009, lorsqu’une autre AMM a été délivrée auparavant pour une application thérapeutique différente du même produit. Le fait que l’AMM la plus récente soit la première AMM à relever du champ de protection du brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP ne saurait infirmer une telle interprétation.

61      À la lumière de l’ensemble des éléments qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’une AMM ne peut pas être considérée comme étant la première AMM, au sens de cette disposition, lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique.

Le droit dit par la Cour de justice

L’article 3, sous d), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens qu’une autorisation de mise sur le marché ne peut pas être considérée comme étant la première autorisation de mise sur le marché, au sens de cette disposition, lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché pour une autre application thérapeutique.