Contrôler l’IA loin du juge à propos de la proposition de loi du 12 septembre 2023 visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur.

L’IA en tant qu’outil est déjà amplement utilisé. Certains photographes ou graphistes se sont appropriés chacun à leur manière l’IA.

  • En avril 2023, le photographe Boris Eldagsen remporte le prix Sony World Photography Awards, dans la catégorie « Création » et le refuse. Il s’en explique sur son site
  • Mais précédemment en août 2022 à la foire de l’Etat du Colorado, Jason Allen est le lauréat pour « Théâtre d’Opéra spatial » réalisé avec Midjourney dans la catégorie “Art digital”. Comme son prompt est précieux, car il nécessite du temps et de la créativité, Jason Allen le garde secret. Voir « Le dessous des images » sur Arte TV.

 

Le 12 septembre 2023, à l’Assemblée Nationale une proposition de loi est déposée « visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur ». La proposition de loi

 

1. Toute réalisation par une IA dont l’apprentissage inclut une œuvre protégée par le droit d’auteur, serait soumise au régime du droit d’auteur.

« L’intégration par un logiciel d’intelligence artificielle d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur dans son système et a fortiori leur exploitation est soumise aux dispositions générales du présent code et donc à autorisation des auteurs ou ayants droit (art. 1) »

 

2. Les titulaires des droits d’auteur sur l’œuvre antérieure deviennent les seuls titulaires des droits sur le résultat de l’AI.

« Lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle (art. 2)« 

Mais la permission, ici, n’est pas celle consécutive à un accord donné par les auteurs à cette exploitation de leur œuvre, elle renvoie à l’intégration de leur l’œuvre dans le processus d’apprentissage de l’IA.  

Trois conséquences à cela sur les droits ainsi créés.

    • C’est l’intégration dans le processus de l’AI qui conditionne les droits sur les résultats de l’IA : pas besoin de rechercher dans les résultats de l’IA si ceux-ci incorporent l’œuvre antérieure, ou les points de ressemblances éventuels avec des caractéristiques de l’œuvre antérieure, ou si se retrouvent dans ces résultats l’impression d’ensemble de l’œuvre antérieure pour un public qualifié.
    • Les titulaires de l’œuvre incorporée deviennent les titulaires des droits sur les résultats de l’IA.
    • Quant à la nature des droits sur les résultats de l’IA, ils sont placés au Code de la propriété comme des droits d’auteurs ou des droits voisins.

 

3. La prédominance des sociétés de gestion de droit d’auteur ou de droits voisins

Par une attribution aux sociétés de gestion de droits présentée d’abord comme facultative.

« La gestion collective des droits sur les œuvres générées par l’intelligence artificielle peut être effectuée par des sociétés d’auteurs ou d’autres organismes de gestion collective. Ces entités sont habilitées à représenter les titulaires des droits et à percevoir les rémunérations afférentes à l’exploitation de la copie des œuvres, conformément aux règles établies par les statuts de ces sociétés (art. 2) ».

Qui devient la règle.

  1.  « Par ailleurs, dans l’éventualité où une œuvre de l’esprit est engendrée par un dispositif d’intelligence artificielle à partir d’œuvres dont l’origine ne peut être déterminée, une taxation destinée à la valorisation de la création est instaurée au bénéfice de l’organisme chargé de la gestion collective désigné par l’article L. 131-3 modifié du présent code ( art.  4) »

Comme des millions de documents constituent le corpus initial d’apprentissage d’une IA auxquels s’ajoutent les millions de résultats générés par les prompt des utilisateurs, l’incertitude sur l’origine des référentiels sera la règle !

 

4.Une proposition de loi qui n’est pas limitée à la photographie ou aux graphistes.

Comme le rappellent les motifs de cette proposition de loi :

« qu’il s’agisse des arts plastiques, de l’image photographique, des livres, de la musique, des articles scientifiques ou de presse, etc 

« La crédibilité de l’image photographique, celle des textes proposés comme des informations d’actualité, l’encadrement de vidéos fruits de montages numériques méritent notre vigilance la plus appuyée. Ils soulèvent des questions d’éthique et de nécessaire principe de précaution. Ils induisent la possible remise en cause de notre libre arbitre. Ils agitent des enjeux majeurs qui détermineront la survie de notre créativité et le chemin tracé par notre champ culturel dans les années à venir.

 Il convient de délimiter les frontières éthiques de l’IA …. »

 

5. Tous ces débats échapperaient à la société civile et au contrôle du juge.

Rappelons que « Les organismes de gestion collective sont des personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l’objet principal consiste à gérer le droit d’auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, …., à leur profit collectif… » art. L321-1 du CPI.

Pour le dire autrement, tous les débats sur l’IA, se trouveraient de facto renvoyés aux mécanismes de fonctionnement et de répartition des droits de ces sociétés de gestion de droits, c’est-à-dire à des mécanismes administratifs loin du juge judiciaire pourtant gardien de nos libertés. On le sait le dessaisissement du contrôle des juges au profit des autorités administratives est une tendance lourde.

 Quant à ceux qui ne verraient dans cette proposition que le juste respect aux auteurs des droits reconnus par le Code de la propriété intellectuelle, qu’ils se reportent au seul auteur cité aux motifs de cette proposition de loi, qui a existé bien avant la première de nos sociétés de gestion de droit d’auteur et la création du droit d’auteur.

« À titre d’exemple, en 2016, un tableau de Rembrandt, « the Next Rembrandt » (« le prochain Rembrandt ») a été conçu par un ordinateur et réalisé par une imprimante 3D, 351 ans après la mort du peintre ».