Pas possible de revendre seule la sauvegarde d’un logiciel

Les programmes d’ordinateur bénéficiant d’une protection spécifique, peuvent-ils être revendus comme toute marchandise d’occasion ?

La Cour de justice par son arrêt du 12 octobre 2016 en limite singulièrement la revente quand ces logiciels ne sont plus sur leur support d’origine.

Rappelons au préalable que la Cour de Justice, le 3 juillet 2012, a reconnu la possibilité de revendre des logiciels déjà utilisés. L’arrêt est là

1)      L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée.

2)      Les articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, licence qui avait été initialement octroyée au premier acquéreur par ledit titulaire du droit sans limitation de durée et moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre à ce dernier d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de ladite copie de son œuvre, le second acquéreur de ladite licence ainsi que tout acquéreur ultérieur de cette dernière pourront se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive et, partant, pourront être considérés comme des acquéreurs légitimes d’une copie d’un programme d’ordinateur, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, et bénéficier du droit de reproduction prévu à cette dernière disposition.

L’arrêt du 12 octobre 2016 se place par conséquent à la suite de cet arrêt, mais s’intéresse pour l’essentiel à la situation du logiciel d’occasion quand il s’agit d’une sauvegarde.

  • Les faits à l’origine de l’affaire

Des personnes sont poursuivies en Lettonie pour la vente de logiciels. Lors d’un de leurs recours, le juge letton interroge la Cour de Justice, les questions suffisent à expliquer la particularité de ces reventes de logiciels .

« 1)      Une personne qui a acquis un programme d’ordinateur “d’occasion” sous licence [enregistré] sur un disque qui n’est pas d’origine, qui fonctionne et qui n’est utilisé par personne d’autre, peut-elle, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, invoquer l’épuisement du droit de distribuer un exemplaire (copie) du programme d’ordinateur que le premier acquéreur a acquis auprès du titulaire des droits sur le disque original, [lorsque ce] disque s’est détérioré, si le premier acquéreur a effacé son exemplaire (copie) du programme d’ordinateur ou ne l’utilise plus ?

2)      Si la réponse à la première question est affirmative, une personne qui peut invoquer l’épuisement du droit de distribuer un exemplaire (copie) du programme d’ordinateur a-t-elle le droit de revendre le programme d’ordinateur sur un disque qui n’est pas d’origine à un tiers au sens de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2009/24 ? »

C’est donc bien la question du support sur lequel se trouve ce logiciel qui est le cœur de la difficulté pour le juge letton.

  • Cet arrêt est rendu au regard des directives 91/250 et 2009/24, la seconde ayant abrogé la première.

L’article 4, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la directive 2009/24 dispose :

« 1.      Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire ou d’autoriser :

a)      la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit ; lorsque le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage d’un programme d’ordinateur nécessitent une telle reproduction du programme, ces actes de reproduction sont soumis à l’autorisation du titulaire du droit ;

[…]

2.      La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci. »

4        L’article 5, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1.      Sauf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes visés à l’article 4, paragraphe 1, points a) et b), lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.

2.      Une personne ayant le droit d’utiliser le programme d’ordinateur ne peut être empêchée par contrat d’en faire une copie de sauvegarde dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour cette utilisation. »

La directive 91/250/CEE

5        L’article 4 de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 1991, L 122, p. 42), disposait :

« Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire et d’autoriser :

a)      la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit. Lorsque le chargement, l’affichage, le passage, la transmission ou le stockage d’un programme d’ordinateur nécessitent une telle reproduction du programme, ces actes de reproduction seront soumis à l’autorisation du titulaire du droit ;

[…]

c)      toute forme de distribution, y compris la location, au public de l’original ou de copies d’un programme d’ordinateur. La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci. »

6        L’article 5, paragraphes 1 et 2, de ladite directive était ainsi libellé :

« 1.      Sauf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes prévus à l’article 4 points a) et b) lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.

2.      Une personne ayant le droit d’utiliser le programme d’ordinateur ne peut être empêchée par contrat d’en faire une copie de sauvegarde dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour cette utilisation. »

7        L’article 7, paragraphe 1, de la même directive était ainsi rédigé :

« Sans préjudice des articles 4, 5 et 6, les États membres prennent, conformément à leurs législations nationales, des mesures appropriées à l’encontre des personnes qui accomplissent l’un des actes mentionnés aux points a), b) et c) figurant ci-dessous :

a)      mettre en circulation une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

b)      détenir à des fins commerciales une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

[…] »

  • Le rappel des règles applicables à la copie de sauvegarde

43      Il s’ensuit qu’une copie de sauvegarde d’un programme d’ordinateur ne peut être réalisée et utilisée que pour répondre aux seuls besoins de la personne en droit d’utiliser ce programme et que, partant, cette personne ne saurait, quand bien même elle aurait endommagé, détruit ou encore égaré le support physique d’origine de ce programme, utiliser cette copie aux fins de la revente dudit programme d’occasion à une tierce personne.

44      Par conséquent, comme le font valoir Microsoft et les gouvernements italien et polonais dans leurs observations, l’acquéreur légitime d’une copie d’un programme d’ordinateur accompagnée d’une licence d’utilisation illimitée, qui entend la revendre, après épuisement des droits de distribution du titulaire des droits d’auteur en application de l’article 4, sous c), de la directive 91/250, ne saurait, en l’absence d’autorisation de ce titulaire, céder au sous-acquéreur la copie de sauvegarde de ce programme réalisée en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, au motif qu’il a endommagé, détruit ou égaré le support physique d’origine qui lui a été vendu par ledit titulaire ou avec le consentement de celui-ci.

45      En l’occurrence, s’il ressort de la décision de renvoi que MM. …….. ont revendu des copies de programmes d’ordinateurs enregistrés sur des supports physiques qui ne sont pas d’origine, il n’y est pas précisé si, étant les acquéreurs initiaux de ces programmes, ils ont eux-mêmes réalisé les copies revendues ou si ces dernières ont été réalisées par les personnes auprès desquelles ils en ont fait l’acquisition, que ces dernières soient des acquéreurs légitimes initiaux ou pas.

  • L’analogie entre l’acquéreur légitime et celui qui a téléchargé licitement le logiciel

  Il n’en demeure pas moins que la situation de l’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur, vendue enregistrée sur un support physique qui aurait été endommagé, détruit ou égaré et celle de l’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur achetée et téléchargée sur Internet sont, au regard de la règle de l’épuisement du droit de distribution et du droit exclusif de reproduction reconnu au titulaire du droit, comparables.

53      L’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur, qui détient une licence d’utilisation illimitée de ce programme mais qui ne dispose plus du support physique d’origine sur lequel cette copie lui avait été initialement livrée parce qu’il l’a détruit, endommagé ou égaré, ne saurait, de ce seul fait, être privé de toute possibilité de revendre d’occasion ladite copie à une tierce personne, sauf à priver d’effet utile l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, sous c), de la directive 91/250 (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft, C‑128/11, EU:C:2012:407, point 83).

54      Aussi, comme Microsoft l’a reconnu dans sa réponse écrite aux questions posées par la Cour, l’acquéreur légitime de la licence d’utilisation illimitée de la copie d’un programme d’ordinateur d’occasion doit pouvoir procéder au téléchargement de ce programme à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, ledit téléchargement constituant une reproduction nécessaire d’un programme d’ordinateur lui permettant d’utiliser ce dernier d’une manière conforme à sa destination, ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft (C‑128/11, EU:C:2012:407, point 85).

55      Il importe cependant de rappeler que l’acquéreur initial de la copie du programme d’ordinateur, pour laquelle le droit de distribution du titulaire du droit d’auteur est épuisé conformément à l’article 4, sous c), de la directive 91/250, qui procède à la revente d’occasion de celle-ci, doit, aux fins d’éviter la violation du droit exclusif de ce titulaire à la reproduction de son programme d’ordinateur, prévu à l’article 4, sous a), de cette directive, rendre inutilisable toute copie en sa possession au moment de la revente de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft, C‑128/11, EU:C:2012:407, points 70 et 78).

56      Il convient en outre de préciser qu’il appartient à l’acquéreur de la licence d’utilisation illimitée de la copie d’un programme d’ordinateur d’occasion qui, se prévalant de la règle de l’épuisement du droit de distribution, télécharge une copie de ce programme sur son ordinateur à partir du site Internet du titulaire du droit d’établir, par tout moyen de preuve, qu’il a légalement acquis cette licence.

  • La revente de la sauvegarde n’est pas possible

57      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 4, sous a) et c), et l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250, doivent être interprétés en ce sens que, si l’acquéreur initial de la copie d’un programme d’ordinateur accompagnée d’une licence d’utilisation illimitée est en droit de revendre d’occasion cette copie et sa licence à un sous-acquéreur, il ne peut en revanche, lorsque le support physique d’origine de la copie qui lui a été initialement délivrée est endommagé, détruit ou égaré, fournir à ce sous-acquéreur sa copie de sauvegarde de ce programme sans l’autorisation du titulaire du droit.