Dépôt frauduleux de marque communautaire ou dépôt de mauvaise foi de marque communautaire.

Le contentieux en matière de marque communautaire déposée frauduleusement est relativement rare. L’arrêt du 28 janvier 2016 du Tribunal de l’UnLa Cour de justice et le Tribunal de l'Unionion intervient dans une affaire où la nullité d’une marque communautaire est demandée au regard de différentes marques chiliennes. L’arrêt est .

  • Les règles communautaires applicables au dépôt de marque communautaire fait de mauvaise foi sont rappelées à l’arrêt :

45 La notion de « mauvaise foi » visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation de l’Union

46 Toutefois, ainsi que la chambre de recours l’a relevé au point 27 de la décision attaquée, dans son arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C 529/07, Rec, EU:C:2009:361, point 53), la Cour a apporté plusieurs précisions sur la manière dont il convenait d’interpréter et d’appliquer cette notion dans le contexte de la réglementation en matière de marque communautaire. Elle a ainsi relevé que la mauvaise foi du demandeur devait être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, et notamment :
– le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
– l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
– le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.

  • La marque communautaire dont l’annulation est demandée porte sur le signe figuratif suivant, avec indication de la couleur rouge  :MARQUE ENREGISTREE COMMUNAUTAIRE

Cette marque a été enregistrée par l’OHMI en décembre 2010 pour :
– classe 29 : « Hamburgers ; saucisses ; viandes froides ; fruits et légumes préparés ; salades de fruits ; salades de légumes, herbes potagères et légumineuses ; légumineuses, herbes potagères et légumes (salades de -) ; pommes frites ; pommes de terre préparées ; crème ; lait ; produits à base de pomme de terre ; viande, poisson, volaille et gibier ; extraits de viande ; fruits et légumes conservés, surgelés, séchés et cuits ; gelées, confitures, compotes ; œufs, lait et produits laitiers ; huiles et graisses comestibles » ;
– classe 30 : « Pizzas ; pains garnis ; sandwiches ; produits de boulangerie ; glaces comestibles ; sauces à usage alimentaire ; produits de la pâtisserie ; desserts ; sauces à salade ; chocolat ; café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir » ;
– classe 43 : « Services de restaurants ; services de cafétérias ; services de restauration rapide ; services de restauration et services de plats à emporter ; services de restaurant, café, brasserie, taverne, bar, plats préparés et hôtel ; services de restauration et de fourniture de repas ; préparation et cuisson d’aliments ; services de traiteur ; bars de repas rapides [snack-bars] ; services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ».

  • Les marques antérieures chiliennes

La demande en nullité est engagée par les titulaires de différentes marques chiliennes, qui ont pour activités principales l’exploitation de bars, de restaurants, de cafétérias et ’établissements de restauration rapide ainsi que la concession, la gestion et l’exploitation de franchises dans ce secteur.

Les marques invoquées désignent des « buvettes, bars, restaurants, cafétérias, salons de thé, services de restauration rapide » ou encore des « services fournis par des établissements principalement chargés de procurer des aliments ou des boissons préparées pour la consommation tels que des restaurants, restaurants en self-service, cafétérias et salons de thé, buvettes, cantines, bars, services de fourniture d’aliments cuisinés à domicile ».

Les signes de ces marques chiliennes:

MARQUE CHILIENNE 1 ET 2 ET 3 MARQUE CHILIENNE 1 ET 2 MARQUE CHILIENNE AUTRE 1 ET 2 MARQUE CHILIENNE

 

 

 

18 juillet 2013 ; la division d’annulation de l’OHMI rejette la demande en nullité dans son ensemble.

18 septembre 2013 : recours des demandeurs en nullité.

13 mars 2014 : la première chambre de recours de l’OHMI annule la décision de la division d’annulation dans son ensemble et déclare nul l’enregistrement de la marque contestée.

Le Tribunal est saisi d’un recours du titulaire de la marque communautaire qui a été annulée. Quelques éléments retenus par le Tribunal pour rejeter ce recours sont à citer

  • La connaissance par le déposant de la marque communautaire des activités des titulaires des marques chiliennes et la quasi identité visuelle des marques

53 …., force est de constater qu’il ressort à suffisance de droit des différents éléments de preuve présentés par les demanderesses en nullité que le requérant avait connaissance de l’existence des marques chiliennes figuratives antérieures DoggiS lors du dépôt de sa demande d’enregistrement de la marque contestée.

54 À cet égard, il convient d’abord de considérer que la chambre de recours, au point 34 de la décision attaquée, a correctement relevé qu’il ressortait d’un extrait du site Internet www.doggis.es (voir point 35 ci-dessus), dans lequel le requérant décrivait une entreprise dénommée Doggis España, que Doggis n’était pas une enseigne originellement créée en Espagne (« Doggis arrive en Espagne avec [le requérant] en 2010 »), mais une entité étrangère qui avait prétendument été implantée dans ce pays dans le but de se développer à l’échelle mondiale. Elle a également correctement relevé que, dans cet extrait, cette entreprise était présentée comme étant la première franchise Doggis de hot-dogs en Espagne et qu’il y était fait état du grand succès rencontré par le hot-dog « dans de nombreux pays dans le monde, comme les USA, le Chili, le Brésil, la Colombie, l’Allemagne, etc. ».
8 Ainsi que le fait valoir à juste titre l’OHMI, il ressort des différents extraits mentionnés aux points 54, 56 et 57 ci-dessus que le requérant, avant de lancer en Espagne, sous la dénomination Doggis, une enseigne de franchises dans le secteur de la restauration rapide de hot-dogs, avait fait une étude de ce secteur sur le plan international et avait constaté le grand succès rencontré par ce produit sur le continent américain, et singulièrement au Chili et au Brésil, qui étaient précisément des pays dans lesquels les demanderesses en nullité développaient déjà depuis plusieurs années, sous la même dénomination, un réseau de franchises dans le même secteur. Partant, le requérant avait nécessairement connaissance de l’existence non seulement du réseau de franchises des demanderesses en nullité, mais aussi des marques chiliennes figuratives antérieures DoggiS de ces dernières lors du dépôt de sa demande d’enregistrement de la marque contestée.

59 Cette conclusion est d’autant plus évidente que, ainsi que cela a été constaté à juste titre par la chambre de recours au point 37 de la décision attaquée, il existe une identité, ou à tout le moins une quasi-identité, entre les marques chiliennes figuratives antérieures DoggiS, dont les lettres sont de couleur rouge et le fond de couleur jaune, et le signe reproduit ci-après, utilisé par le requérant sur son site Internet www.doggis.es ainsi que dans ses publicités sur des sites Internet consacrés aux franchises :

60 Cette identité, ou quasi-identité, qui s’ajoute à la quasi-identité entre lesdites marques antérieures et la marque contestée (voir points 76 à 78 ci-après) ne saurait manifestement être le fruit du hasard.

  • Le déposant de la marque communautaire avait la charge de la commercialisation en Espagne des marques chiliennes

66 En effet, d’une part, il ressort clairement dudit extrait que l’entreprise et la marque doggis existaient déjà (voir point 54 ci-dessus) et que le requérant se présentait comme étant la personne responsable de leur pénétration sur le marché espagnol. D’autre part, le fait que cette entreprise et cette marque existaient antérieurement à leur « importation » en Espagne n’est nullement inconciliable avec l’objectif d’« entamer » un développement à l’échelle mondiale. En particulier, ainsi que le fait valoir à juste titre l’OHMI, il est tout à fait concevable, eu égard aux liens historiques et culturels existant entre l’Amérique latine et l’Espagne, que le titulaire d’une marque latino-américaine prenne le marché espagnol comme point de départ pour réaliser l’expansion de celle-ci sur le continent européen. C’est d’ailleurs en ce sens que vont les indications contenues dans l’extrait du site Internet www.consultafranquicias.com (voir point 56 ci-dessus) ainsi que dans l’extrait de la page Internet es.negocius.com/franquicia-doggis_fv1793.html (voir point 57 ci-dessus).

  • Mais la connaissance des marques chiliennes n’est pas suffisante pour établir la mauvaise foi

74 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une telle connaissance de la part du demandeur de marque n’est, en effet, pas suffisante, à elle seule, pour établir l’existence de la mauvaise foi de ce dernier. Il convient également de prendre en considération son intention au moment du dépôt de la demande d’enregistrement (arrêt Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, point 46 supra, EU:C:2009:361, points 40 et 41). Si cette intention est naturellement un élément subjectif, elle doit néanmoins être déterminée par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, point 46 supra, EU:C:2009:361, point 42).

..
76 Ensuite, il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que la chambre de recours a constaté, au point 39 de la décision attaquée, que la marque contestée et les marques chiliennes figuratives antérieures DoggiS faisant l’objet des enregistrements nos 683048, 857568 et 801904 étaient identiques. À tout le moins sont-elles quasi identiques.

77 À cet égard, d’une part, il convient de constater que la marque contestée et les marques chiliennes antérieures en cause sont constituées du même élément verbal « doggis ». L’argument du requérant selon lequel cet élément verbal est dépourvu d’originalité ne saurait prospérer. En effet, les documents produits en annexe de la requête sur lesquels il fonde cet argument ont été présentés pour la première fois devant le Tribunal et doivent donc être écartés comme irrecevables (voir point 63 ci-dessus). En outre, à supposer même que le terme « doggis » ait une signification en rapport avec les hot-dogs, il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il sera expliqué plus en détail au point 78 ci-après, la manière dont il est représenté dans les marques chiliennes antérieures en cause présente une série de particularités qui se retrouvent à l’identique dans la marque contestée.

78 D’autre part, il y a lieu de relever les identités visuelles suivantes entre les marques chiliennes antérieures en cause et la marque contestée :
– le terme « doggis » est écrit en rouge ;
– le terme « doggis » est écrit dans une police de caractères particulière, de forme arrondie ;
– la lettre « d », initiale, et la lettre « s », finale, sont écrites en majuscules, tandis que les lettres centrales le sont en minuscules ;
– les lettres « d » et « s » sont plus épaisses que les lettres centrales ;
– les lettres « o », « g » et « g » possèdent une même saillie en leur sommet.

79 La seule différence existant sur le plan visuel entre la marque contestée et les marques chiliennes antérieures en cause est que ces dernières comportent un fond jaune, ce qui ne saurait à l’évidence suffire pour exclure que ces marques produisent la même impression d’ensemble.
….

88 Troisièmement, il y a lieu de considérer que, comme cela a été relevé à juste titre au point 45 de la décision attaquée, le fait, pour le requérant, d’avoir sollicité l’enregistrement d’une marque figurative quasi identique à certaines des marques figuratives antérieures des demanderesses en nullité pour désigner les mêmes services que ces dernières marques ainsi que des produits indispensables pour la fourniture de ces services ne répondait à aucune logique commerciale. Force est de constater, d’ailleurs, que le requérant n’invoque même pas une quelconque logique commerciale pour justifier cet acte, se contentant, en substance, de faire valoir, en invoquant nombre d’arguments infondés, qu’il n’avait pas connaissance de l’existence des marques antérieures des demanderesses en nullité lorsqu’il a présenté sa demande d’enregistrement de la marque contestée.