Précisons la situation particulière à laquelle s’applique cette question. Un produit fabriqué en France mais destiné uniquement à l’exportation peut-il constituer un acte de contrefaçon d’une marque française ? La Cour de cassation, le 17 janvier 2018, a abandonné la position de son précédent arrêt du 10 juillet 2007.

  • En 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi contre l’arrêt d’appel qui a écarté le grief de contrefaçon : la théorie du juste motif.

Dans cette affaire la société S… , une société française, détient des produits que le titulaire de la marque française considère comme des contrefaçons. Aucun des produits ne sont commercialisés en France, la société S… les détient uniquement pour en effectuer l’exportation dans un autre pays où la société S…. ne prétend pas détenir de droit de marque.

Pour la Cour de cassation, le 10 juillet 2007, il n’y a pas contrefaçon de la marque française. La Cour semble justifier cette situation par la possibilité pour la société poursuivie à torts en contrefaçon, de pouvoir exercer des droits de marque qu’elle détient sur les territoires des pays autres que la France, à savoir l’exploitation directe par elle-même. Il y a donc un juste motif à cette détention de produits.

« Mais attendu que l’arrêt constate que la société S…. détient des produits revêtus de la marque « N… », en vue de leur exportation vers des pays tiers dans lesquels il n’est pas contesté qu’ils sont licitement commercialisés, et qu’aucun élément ne démontre une mise sur le marché en France d’un masque de beauté revêtu de la marque « N…. » ; qu’en l’état de ces constatations, dont il résulte qu’il n’existait pas de risque que les marchandises ainsi détenues puissent être initialement commercialisées en France, de sorte que les entreprises poursuivies n’avaient fait usage du signe litigieux qu’afin d’exercer leur droit exclusif portant sur la première mise sur le marché de produits revêtus du signe incriminé dans des pays où elles disposent de ce droit, la cour d’appel, abstraction faite du motif erroné, mais surabondant, selon lequel l’usage d’un signe imitant une marque enregistrée, de même que la détention de produits ainsi marqués dans le cadre d’un processus de production et de commercialisation de marchandises, fussent-elles destinées à l’exportation, ne constitueraient pas des actes d’usage du signe dans la vie des affaires, a fait ressortir qu’en l’occurrence la détention des produits revêtus de ce signe procédait d’un motif légitime, et ainsi justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ; »

  •  Revirement en 2017

Le pourvoi en cassation est formé par les titulaires de la marque déposée à l’étranger (La Chine)  dont les produits marqués sont argués de contrefaçon en France, c’est donc la situation inverse de 2007 car  ces titulaires de la marque chinoise ont été condamnés en France.

 Le moyen du pourvoir rappelle le motif légitime retenu en 2007 :

2°/ que l’usage d’une marque française par un tiers uniquement pour procéder à la première mise sur le marché de ses produits revêtus du signe incriminé dans un pays où il dispose de ce droit procède d’un motif légitime ; qu’en les condamnant à payer la somme de 30 000 euros à la société Castel frères au titre de la contrefaçon de ses marques sans rechercher, comme elle y était invitée, si la détention des bouteilles revêtues du signe litigieux ne procédait pas d’un motif légitime dès lors que M. Y… Yu faisait usage des signes couverts par les marques de la société C….. uniquement pour exporter ses produits vers la Chine où il disposait d’un droit de marque sur ledit signe, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;

….

La Cour de cassation écarte la théorie du motif légitime au regard des dispositions de la directive.

Et attendu, d’autre part, qu’il résulte des articles L. 713-2 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle que sont interdites, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction d’une marque pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement, ainsi que l’exportation de marchandises présentées sous une marque contrefaisante ; que ces textes ont été interprétés par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 juillet 2007, n° 05-18.571, Bull. […] comme ménageant une exception de motif légitime de détention de tels produits revêtus du signe litigieux sur le territoire français, dans lequel ce signe était protégé en tant que marque, dès lors que ces produits étaient destinés à l’exportation vers des pays tiers dans lesquels ils étaient licitement commercialisés et qu’il n’existait pas de risque que ces marchandises puissent être initialement commercialisées en France, de sorte que les entreprises poursuivies n’avaient fait usage du signe litigieux qu’afin d’exercer leur droit exclusif portant sur la première mise sur le marché de produits revêtus du signe incriminé dans des pays où elles disposaient de ce droit ; que, toutefois, les directives de l’Union européenne instituent, notamment par l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, une harmonisation complète, en définissant le droit exclusif dont jouissent les titulaires de marques dans l’Union (CJUE, 20 novembre 2001, C-414/99 à C-416/99, Zino Davidoff et Levi strauss , point 39 ; CJUE,12 novembre 2002, C-206/01, Arsenal Football Club) ; que la solution retenue par l’arrêt précité ne fait donc pas une application correcte de ce principe d’harmonisation, puisque ni cette directive, ni celles adoptées par la suite, ne prévoient une telle exception, de sorte que le refus de constater la contrefaçon en pareil cas ne peut être maintenu ; qu’il en résulte qu’ayant constaté que la marque avait été apposée en France, territoire sur lequel elle était protégée, la cour d’appel en a exactement déduit, lors même que les produits ainsi marqués étaient destinés à l’exportation vers la Chine, que la contrefaçon était constituée ;

 Pour les entreprises françaises même quand elles destinent leurs produits uniquement à l’exportation et même pour des pays où elles détiennent des droits de marques, ne pourront les employer qu’à l’extérieur du territoire français.