En droit de marque, l’exploitation de la marque conditionne le maintien du droit. En l’absence d’exploitation, le titulaire de la marque voit son droit de marque déchu. Cette sanction existe aussi bien pour les marques françaises que pour les marques européennes anciennement dénommées marques communautaires. Comme cette sanction est particulièrement lourde, cette notion d’usage fait l’objet d’un important contentieux, les avocats étant confrontés à des situations très disparates. Au-delà, des questions de preuve de l’exploitation à fournir au juge, l’avocat peut se voir confronté à des situations juridiques particulièrement complexes. L’arrêt du 8 juin 2017 rendu par la Cour de Justice intervient sur une question préjudicielle, c’est dire l’importance de la difficulté posée ici aux juges allemands, à propos des modalités d’emploi d’un label par différentes entreprises.

 

8 juin 2017 (1)

 

Dans l’affaire C‑689/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 15 décembre 2015, parvenue à la Cour le 21 décembre 2015, dans la procédure

W………………………….GmbH,

Wo…………..

contre

Ve…………………………,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de,

avocat général

greffier : administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 octobre 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour W………………………….GmbH et M. G….., par

–        pour Verein Bremer Baumwollbörse, par,

–        pour le gouvernement allemand, par

–        pour la Commission européenne, par

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant W………………………….GmbH (ci-après « G….. ») et M. Wo………….. au Verein Bremer Baumwollbörse (ci-après le « VBB ») au sujet, d’une part, de l’usage par G….. d’un signe similaire à une marque de l’Union européenne dont le VBB est titulaire et, d’autre part, de l’existence d’un usage sérieux de cette marque.

 Le cadre juridique

3        Le règlement no 207/2009 a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), qui est entré en vigueur le 23 mars 2016. Toutefois, compte tenu de la date des faits au principal, le présent renvoi préjudiciel est examiné au regard du règlement no 207/2009 tel qu’en vigueur avant cette modification.

4        Aux termes de l’article 4 de ce règlement :

« Peuvent constituer des marques [de l’Union européenne] tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. »

5        L’article 7, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Sont refusés à l’enregistrement :

  1. a)       les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 ;
  2. b)       les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ;
  3. c)       les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ;
  4. d)       les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;

[…]

  1. g)       les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;

[…] ».

6        Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du même règlement :

« La marque [de l’Union européenne] confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

  1. a)      d’un signe identique à la marque [de l’Union européenne] pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;
  2. b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque [de l’Union européenne] et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque [de l’Union européenne] et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

[…] »

7        L’article 15 du règlement no 207/2009 énonce :

« 1.      Si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque [de l’Union européenne] n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquelles elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque [de l’Union européenne] est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.

[…]

  1.       L’usage de la marque [de l’Union européenne] avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire. »

8        L’article 22, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« La marque [de l’Union européenne] peut faire l’objet de licences pour tout ou partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée et pour tout ou partie de [l’Union]. […] »

9        Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, dudit règlement :

« Le titulaire de la marque [de l’Union européenne] est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’[Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :

  1. a)      si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage […] ;
  2. b)      si la marque est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée ;
  3. c)      si, par suite de l’usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services. »

10      L’article 52, paragraphe 1, du même règlement énonce :

« La nullité de la marque [de l’Union européenne] est déclarée, sur demande présentée auprès de l’[EUIPO] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :

  1. a)      lorsque la marque [de l’Union européenne] a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 ;

[…] »

11      L’article 66 du règlement no 207/2009 dispose :

« 1.       Peuvent constituer des marques collectives [de l’Union européenne] les marques [de l’Union européenne] ainsi désignées lors du dépôt et propres à distinguer les produits ou les services des membres de l’association qui en est le titulaire de ceux d’autres entreprises. […]

  1.       Par dérogation à l’article 7, paragraphe 1, point c), peuvent constituer des marques collectives [de l’Union européenne] au sens du paragraphe 1 des signes ou indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner la provenance géographique des produits ou des services. Une marque collective n’autorise pas le titulaire à interdire à un tiers d’utiliser dans le commerce ces signes ou indications, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ; en particulier, une telle marque ne peut être opposée à un tiers habilité à utiliser une dénomination géographique.
  2.       Les dispositions du présent règlement s’appliquent aux marques collectives de l’Union européenne, sauf disposition contraire prévue aux articles 67 à 74. »

12      L’article 67 de ce règlement énonce :

« 1.       Le demandeur d’une marque collective [de l’Union européenne] doit présenter un règlement d’usage dans le délai prescrit.

  1.       Le règlement d’usage indique les personnes autorisées à utiliser la marque, les conditions d’affiliation à l’association ainsi que, dans la mesure où elles existent, les conditions d’usage de la marque, y compris les sanctions. Le règlement d’usage d’une marque visée à l’article 66, paragraphe 2, doit autoriser toute personne dont les produits ou services proviennent de la zone géographique concernée, à devenir membre de l’association qui est titulaire de la marque.

[…] »

13      L’article 71 dudit règlement dispose :

« 1.      Le titulaire de la marque collective [de l’Union européenne] doit soumettre à l’[EUIPO] tout règlement d’usage modifié.

  1. La modification n’est pas mentionnée au registre, si le règlement d’usage modifié ne satisfait pas aux prescriptions de l’article 67 ou comporte un motif de rejet […]

[…] »

14      Aux termes de l’article 73 du même règlement :

« Outre les causes de déchéance prévues à l’article 51, le titulaire de la marque collective [de l’Union européenne] est déclaré déchu de ses droits sur demande auprès de l’[EUIPO] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon lorsque :

  1. a)      le titulaire ne prend pas de mesures raisonnables en vue de prévenir un usage de la marque qui ne serait pas compatible avec les conditions d’usage prévues par le règlement d’usage, dont la modification a été, le cas échéant, mentionnée au registre ;

[…]

  1. c)      la modification du règlement d’usage a été mentionnée au registre contrairement aux dispositions de l’article 71, paragraphe 2, sauf si le titulaire de la marque répond, par une nouvelle modification du règlement d’usage, aux exigences fixées par ces dispositions. »

15      La version du règlement no 207/2009 issue du règlement no 2015/2424 comporte une nouvelle section, intitulée « Marques de certification de l’Union européenne », composée des articles 74 bis à 74 duodecies du règlement no 207/2009.

16      Aux termes de l’article 74 bis :

« 1.  Une marque de certification de l’Union européenne est une marque de l’Union européenne ainsi désignée lors du dépôt et propre à distinguer les produits ou services pour lesquels la matière, le mode de fabrication des produits ou de prestation des services, la qualité, la précision ou d’autres caractéristiques, à l’exception de la provenance géographique, sont certifiés par le titulaire de la marque par rapport aux produits ou services qui ne bénéficient pas d’une telle certification.

  1. Toute personne physique ou morale, y compris les institutions, autorités et organismes de droit public, peut déposer une marque de certification de l’Union européenne pourvu que cette personne n’exerce pas une activité ayant trait à la fourniture de produits ou de services du type certifié.

[…] »

17      Conformément à l’article 4 du règlement no 2015/2424, les dispositions visées aux points 15 et 16 du présent arrêt s’appliqueront, pour l’essentiel, à compter du 1er octobre 2017.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      Le VBB est une association exerçant diverses activités liées au coton. Elle est titulaire de la marque de l’Union européenne figurative suivante, enregistrée le 22 mai 2008 pour des produits, notamment des textiles (ci-après la « marque fleur de coton ») :

19      Il ressort du dossier soumis à la Cour et des explications fournies lors de l’audience devant celle-ci que, pendant plusieurs décennies précédant cet enregistrement, ce même signe figuratif (ci-après le « signe fleur de coton ») a été utilisé par des fabricants de textiles issus de fibres de coton afin de certifier la composition et la qualité de leurs produits.

20      Depuis ledit enregistrement, le VBB a conclu des contrats de licence relatifs à sa marque fleur de coton avec les entreprises qui s’affilient à cette association. Ces entreprises s’engagent à n’utiliser cette marque que pour des produits issus de fibres de coton de bonne qualité. Le respect de cet engagement peut être contrôlé par le VBB.

21      G….., dont le gérant est M. G….., non affiliée au VBB et n’ayant pas conclu de contrat de licence avec cette association, fabrique des textiles issus de fibres de coton et y appose le signe fleur de coton depuis plusieurs décennies.

22      Le 11 février 2014, le VBB a introduit une action en contrefaçon contre G….. et M. G….. devant le tribunal des marques de l’Union européenne compétent, le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), en raison de la mise en vente par G….. de serviettes de toilette sur lesquelles sont apposées des étiquettes volantes dont le verso est reproduit ci-dessous :

23      Dans le cadre de cette procédure, G….. a introduit, le 14 avril 2014, une demande reconventionnelle visant la nullité de la marque fleur de coton à partir du 22 mai 2008, ou subsidiairement la déchéance de cette marque à partir du 23 mai 2013.

24      Selon elle, le signe fleur de coton est purement descriptif et donc dépourvu de caractère distinctif. Ce signe ne pourrait pas servir d’indication d’origine, n’aurait pas fait l’objet, dans le délai visé à l’article 15 du règlement no 207/2009, d’un usage sérieux par le VBB ou par ses licenciés et n’aurait, en tout état de cause, pas dû être enregistré en tant que marque.

25      Par jugement du 19 novembre 2014, le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a accueilli l’action du VBB et a rejeté la demande reconventionnelle de G……

26      Cette juridiction a estimé que le signe en cause peut servir d’indication d’origine. Par ailleurs, eu égard au haut degré de similitude entre le signe fleur de coton utilisé sur les étiquettes de G….. et la marque fleur de coton du VBB, il existerait un risque de confusion au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

27      G….. a interjeté appel dudit jugement devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne).

28      Cette dernière juridiction partage, certes, la constatation du premier juge selon laquelle le signe fleur de coton apposé par G….. sur ses produits présente un haut degré de similitude avec la marque fleur de coton du VBB, dès lors qu’il n’en diffère que par la couleur dans laquelle G….. l’imprime habituellement.

29      Toutefois, elle estime que l’usage fait par G….. du signe fleur de coton pour des produits identiques ne conduit pas nécessairement au bien-fondé de l’action en contrefaçon introduite par le VBB. En effet, le public verrait avant tout dans ce signe ainsi que dans la marque fleur de coton un « label de qualité ». Dans ces conditions, il pourrait être considéré que l’usage dudit signe et de ladite marque ne transmet aucun message concernant l’origine des produits visés. Cela pourrait aboutir à conclure, d’une part, que le VBB doit être déchu de ses droits sur la marque fleur de coton en raison d’un défaut d’« usage sérieux » au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et, d’autre part, que G….. ne commet pas de contrefaçon.

30      L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) s’interroge, en outre, sur le point de savoir si, dans des circonstances telles que celles au principal, la marque doit être considérée comme étant de nature à tromper le public, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous g), de ce règlement. En effet, en l’occurrence, le VBB ne contrôlerait qu’exceptionnellement la qualité des produits mis en vente par ses preneurs de licence.

31      Cette juridiction considère, enfin, qu’il pourrait le cas échéant être envisagé d’assimiler l’usage d’une marque individuelle de l’Union européenne telle que la marque fleur de coton à un usage d’une marque collective de l’Union européenne. Cela permettrait de considérer, sur le fondement des principes applicables aux marques collectives, que l’apposition d’une telle marque sur des produits sert d’indication d’origine lorsque le public lie à cette apposition l’attente d’un contrôle de qualité effectué par le titulaire de la marque. Si ce raisonnement devait être suivi par la Cour, il pourrait, par la suite, être envisagé d’appliquer, par analogie, l’article 73, sous a), du règlement no 207/2009, selon lequel il y a lieu de déclarer le titulaire d’une telle marque déchu de ses droits s’il ne prend pas les mesures raisonnables pour prévenir un usage de la marque non conforme aux conditions d’usage prévues par le règlement d’usage.

32      Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)  L’utilisation, en tant que label de qualité, d’une marque individuelle peut-elle être considérée comme un usage en tant que marque au sens de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 à l’égard des produits pour lesquels ce label est utilisé ?

2)       Au cas où il serait répondu par l’affirmative à la première question : faut-il, conformément aux dispositions combinées de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous g), ou à une application mutatis mutandis de l’article 73, sous c), du règlement no 207/2009, déclarer la nullité ou la déchéance d’une telle marque lorsque le titulaire de la marque ne garantit pas, par des contrôles de qualité réguliers auprès de ses preneurs de licence, la conformité des attentes quant à la qualité que le public associe à ce signe ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

33      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que l’apposition d’une marque individuelle de l’Union européenne, par le titulaire ou avec son consentement, sur des produits en tant que label de qualité est un usage en tant que marque relevant de la notion d’« usage sérieux » au sens de cette disposition, de telle sorte que le titulaire de cette marque demeurerait habilité à interdire, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, l’apposition par un tiers d’un signe similaire sur des produits identiques en présence du risque de confusion visé à cette dernière disposition.

34      S’agissant de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il découle sans ambiguïté de cette disposition que, dans un cas tel que celui au principal, dans lequel il n’est pas contesté que le tiers, à savoir G….., fait, sans le consentement du titulaire de la marque, usage dans la vie des affaires d’un signe présentant une similitude avec cette marque pour des produits identiques, ce titulaire est habilité à interdire cet usage si celui-ci crée un risque de confusion dans l’esprit du public.

35      Tel est le cas lorsque le public risque de croire que les produits ou les services désignés par le signe utilisé par le tiers et ceux désignés par la marque proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2005, Medion, C‑120/04, EU:C:2005:594, point 26 ; du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux, C‑102/07, EU:C:2008:217, point 28, ainsi que du 25 mars 2010, BergSpechte, C‑278/08, EU:C:2010:163, point 38).

36      Eu égard au haut de degré de similitude entre le signe fleur de coton apposé sur les textiles en coton mis en vente par G….. et la marque fleur de coton apposée sur ceux mis en vente par les licenciés du VBB, il est d’ores et déjà constaté, par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, qu’il existe un risque de confusion entre ce signe et cette marque. Cette juridiction s’interroge, toutefois, sur le point de savoir si, en raison de l’absence d’un « usage sérieux » au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, le VBB ne peut plus se prévaloir de ladite marque. En effet, dans cette hypothèse, ladite juridiction envisage d’accueillir la demande reconventionnelle de G….. visant la déchéance de la marque fleur de coton.

37      En ce qui concerne ledit article 15, paragraphe 1, il est de jurisprudence constante qu’une marque fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de cette disposition, lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, afin de créer ou de conserver un débouché pour ces derniers, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, notamment, arrêts du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43 ; du 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria/OHMI, C‑234/06 P, EU:C:2007:514, point 72, et du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 29).

38      En l’occurrence, il est constant que l’apposition, par les licenciés du VBB, de la marque fleur de coton sur leurs produits, s’inscrit dans l’objectif de créer ou de conserver un débouché pour ces produits.

39      Toutefois, la circonstance qu’une marque est utilisée afin de créer ou de conserver un débouché pour les produits ou les services pour lesquels elle a été enregistrée et non dans le seul but de maintenir les droits conférés par la marque ne suffit pas pour conclure qu’il y a « usage sérieux » au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009.

40      En effet, ainsi que la Cour l’a énoncé dans la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, il est tout autant indispensable que cette utilisation de la marque soit faite conformément à la fonction essentielle de la marque.

41      S’agissant des marques individuelles, cette fonction essentielle consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, EU:C:1998:442, point 28 ; du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C‑206/01, EU:C:2002:651, point 48, et du 6 mars 2014, Backaldrin Österreich The Kornspitz Company, C‑409/12, EU:C:2014:130, point 20).

42      La nécessité, dans le cadre de l’application de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, d’un usage conforme à la fonction essentielle d’indication d’origine traduit le fait que, si une marque peut, certes, également faire l’objet d’usages conformes à d’autres fonctions, telles que celle consistant à garantir la qualité ou celles de communication, d’investissement ou de publicité (voir, notamment, à ce sujet, arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, EU:C:2009:378, point 58, ainsi que du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit, C‑323/09, EU:C:2011:604, point 38), elle est toutefois soumise aux sanctions prévues à ce règlement lorsque, pendant une période ininterrompue de cinq ans, elle n’a pas été utilisée conformément à sa fonction essentielle. Dans ce cas, le titulaire de la marque est, selon les modalités énoncées à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, déclaré déchu de ses droits, à moins qu’il puisse se prévaloir de justes motifs pour ne pas avoir entamé un usage permettant à la marque de remplir sa fonction essentielle.

43      C’est au regard des principes énoncés ci-dessus qu’il convient à présent d’examiner si l’usage d’une marque individuelle telle que celle au principal en tant que label de qualité peut être considéré comme étant fait conformément à la fonction essentielle de la marque.

44      À cet égard, il importe de ne pas confondre la fonction essentielle de la marque avec les autres fonctions, rappelées au point 42 du présent arrêt, que la marque peut le cas échéant remplir, telle que celle consistant à garantir la qualité.

45      Lorsque l’usage d’une marque individuelle, tout en certifiant la composition ou la qualité des produits ou des services, ne garantit pas aux consommateurs que ces produits ou ces services proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ils sont fabriqués ou fournis et à laquelle, par conséquent, peut être attribuée la responsabilité de la qualité desdits produits ou services, un tel usage n’est pas fait conformément à la fonction d’indication d’origine.

46      Il s’ensuit, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 47 et 56 de ses conclusions, qu’il n’y a pas d’usage conforme à la fonction essentielle de la marque individuelle lorsque l’apposition de celle-ci sur des produits a pour unique fonction de constituer un label de qualité pour ces produits et non celle de garantir en outre que les produits proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ils sont fabriqués et à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité.

47      Dans l’affaire au principal, le VBB a exposé, lors de l’audience devant la Cour, qu’elle est une association sur autorisation de l’État (kraft staatlicher Verleihung), qu’elle investit les moyens financiers tirés de la concession des licences sur sa marque dans des activités de promotion du coton, qu’elle édite du matériel éducatif sur le coton et organise des séminaires sur ce thème, qu’elle agit également en qualité de tribunal arbitral et exerce, par ailleurs, une fonction publique en participant à la fixation du « prix CIF Bremen », lequel exprime une valeur de référence du coton sur le marché.

48      L’objet de cette association, ainsi exposé par le VBB devant la Cour, laisse entendre que cette association est externe à la fabrication des produits de ses licenciés et n’est pas non plus responsable pour ces produits.

49      Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, sur le fondement de l’ensemble des données qui lui sont soumises par les parties au principal, si des éléments pertinents et concordants permettent de considérer que l’apposition de la marque fleur de coton du VBB par les licenciés de cette association sur leurs produits garantit aux consommateurs que ces produits proviennent d’une entreprise unique, à savoir le VBB constitué de ses affiliés, sous le contrôle duquel lesdits produits sont fabriqués et auquel peut être attribuée la responsabilité de leur qualité.

50      Ne saurait, en tout état de cause, constituer un tel élément, le fait que les contrats de licence habilitent le VBB à vérifier que les licenciés utilisent exclusivement des fibres de coton de bonne qualité. Ce fait implique tout au plus que le VBB certifie la qualité de la matière première utilisée. Ainsi qu’il ressort de l’article 66 du règlement no 207/2009 et de l’article 74 bis ajouté à ce règlement par le règlement no 2015/2424, une telle certification peut, le cas échéant, suffire pour considérer qu’une marque autre qu’individuelle remplit sa fonction d’indication d’origine. En effet, ledit article 66 précise qu’une marque collective remplit sa fonction d’indication d’origine lorsqu’elle distingue « les produits ou les services des membres de l’association qui en est le titulaire de ceux d’autres entreprises » et ledit article 74 bis énonce qu’une marque de certification remplit ladite fonction lorsqu’elle distingue « les produits ou les services pour lesquels la matière, le mode de fabrication des produits ou de prestation des services, la qualité, la précision ou d’autres caractéristiques […] sont certifiés par le titulaire de la marque par rapport aux produits ou services qui ne bénéficient pas d’une telle certification ». Toutefois, le litige au principal porte sur une marque individuelle, enregistrée pour des produits. Ainsi qu’il a été exposé au point 41 du présent arrêt, une telle marque remplit sa fonction d’indication d’origine lorsque son usage garantit aux consommateurs que les produits qu’elle désigne proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ces produits sont fabriqués et à laquelle peut être attribuée la responsabilité de la qualité de ces produits, dans leur état fini à la suite du processus de fabrication.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question posée que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que l’apposition d’une marque individuelle de l’Union européenne, par le titulaire ou avec son consentement, sur des produits en tant que label de qualité n’est pas un usage en tant que marque relevant de la notion d’« usage sérieux » au sens de cette disposition. L’apposition de ladite marque constitue toutefois un tel usage sérieux si elle garantit, aussi et simultanément, aux consommateurs que ces produits proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle lesdits produits sont fabriqués et à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité. Dans cette dernière hypothèse, le titulaire de cette marque est habilité à interdire, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, l’apposition par un tiers d’un signe similaire sur des produits identiques, si cette apposition crée un risque de confusion dans l’esprit du public.

 Sur la seconde question

52      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande premièrement, en substance, si l’article 52, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’une marque individuelle peut être déclarée nulle lorsque le titulaire de la marque ne garantit pas, par des contrôles de qualité réguliers auprès de ses preneurs de licence, la conformité des attentes quant à la qualité que le public associe à cette marque.

53      À cet égard, il convient de relever d’emblée que l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 prévoit la nullité de la marque non seulement dans l’hypothèse où celle-ci est de nature à tromper le public au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous g), de ce règlement, mais, de manière générale, lorsque la marque a été enregistrée contrairement à l’article 7 dudit règlement. Par conséquent, en cas d’absence de risque de tromperie au sens de ladite disposition sous g), la nullité de la marque doit, en principe, néanmoins être déclarée s’il s’avère que l’enregistrement de cette marque a eu lieu en méconnaissance de l’un des autres motifs de refus énoncés audit article 7.

54      S’agissant de l’hypothèse spécifique du risque de tromperie, il y a lieu de rappeler que ce cas de figure suppose que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur (arrêts du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 41, et du 30 mars 2006, Emanuel, C‑259/04, EU:C:2006:215, point 47).

55      Par ailleurs, afin qu’il puisse être constaté qu’une marque a été enregistrée en méconnaissance du motif de refus tenant au risque de tromperie, il doit être établi que le signe déposé aux fins de l’enregistrement en tant que marque générait par lui-même un tel risque (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, points 42 et 43).

56      En l’occurrence, pour déterminer si la marque fleur de coton a été enregistrée, le 22 mai 2008, en méconnaissance du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement no 207/2009, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si le signe fleur de coton déposé par le VBB était en lui-même de nature à tromper le consommateur. La gestion ultérieure, par le VBB, de sa marque et des licences d’usage de celle-ci est, à cet égard, dépourvue de pertinence.

57      Partant, il y a lieu de répondre à la première partie de la seconde question préjudicielle que l’article 52, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’une marque individuelle ne saurait être déclarée nulle, sur le fondement d’une application conjointe de ces dispositions, en raison du fait que le titulaire de la marque ne garantit pas, par des contrôles de qualité réguliers auprès de ses preneurs de licence, la conformité des attentes quant à la qualité que le public associe à cette marque.

58      La seconde question préjudicielle vise, deuxièmement, à savoir, en substance, si le règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que ses dispositions relatives aux marques collectives de l’Union européenne peuvent, mutatis mutandis, être appliquées aux marques individuelles de l’Union européenne.

59      À cet égard, il importe de relever que le champ d’application des articles 66 à 74 du règlement no 207/2009, relatifs aux marques collectives de l’Union européenne, est expressément confiné, selon les termes de l’article 66, paragraphe 1, de ce règlement, aux marques ainsi désignées lors du dépôt.

60      Cette délimitation de l’applicabilité desdits articles doit être strictement respectée, d’autant que les règles instaurées par ceux-ci, telles que celles énoncées à l’article 67 dudit règlement au sujet du règlement d’usage de la marque, vont de pair avec ladite désignation expresse, dès la demande d’enregistrement, de la marque sollicitée en tant que marque collective. Une application par analogie de ces règles aux marques individuelles de l’Union européenne n’est, dès lors, pas envisageable.

61      Partant, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la seconde question posée que le règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que ses dispositions relatives aux marques collectives de l’Union européenne ne peuvent pas, mutatis mutandis, être appliquées aux marques individuelles de l’Union européenne.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que l’apposition d’une marque individuelle de l’Union européenne, par le titulaire ou avec son consentement, sur des produits en tant que label de qualité n’est pas un usage en tant que marque relevant de la notion d’« usage sérieux » au sens de cette disposition. L’apposition de ladite marque constitue toutefois un tel usage sérieux si elle garantit, aussi et simultanément, aux consommateurs que ces produits proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle lesdits produits sont fabriqués et à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité. Dans cette dernière hypothèse, le titulaire de cette marque est habilité à interdire, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, l’apposition par un tiers d’un signe similaire sur des produits identiques, si cette apposition crée un risque de confusion dans l’esprit du public.

2)      L’article 52, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’une marque individuelle ne saurait être déclarée nulle, sur le fondement d’une application conjointe de ces dispositions, en raison du fait que le titulaire de la marque ne garantit pas, par des contrôles de qualité réguliers auprès de ses preneurs de licence, la conformité des attentes quant à la qualité que le public associe à cette marque.

3)      Le règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que ses dispositions relatives aux marques collectives de l’Union européenne ne peuvent pas, mutatis mutandis, être appliquées aux marques individuelles de l’Union européenne.