Les débats judiciaires sont publics et chaque partie doit connaître l’argumentation qui lui est opposée. Le tribunal serait-il l’endroit où le secret n’a pas sa place ? En engageant une procédure judiciaire l’entreprise ne risque-t-elle pas de rendre accessible à son concurrent des informations ou des données qu’elle considère comme secrètes et protégées par le secret des affaires ?

Pour concilier ces impératifs a priori contradictoires, le décret et la loi française pris en application de la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets des affaires)  contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ont mis en place « des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales ». Comme l’indique cet intitulé, ces dispositions ne s’appliquent pas au contentieux pénal.

Parmi les mesures envisagées, le juge à la demande d’une partie peut restreindre l’accès à certaines pièces à l’appui de ses prétentions aux seules personnes habilitées à assister ou représenter l’autre partie. Dans ce cas, l’avocat ne peut pas en faire de copie ou de reproduction et ne peut donc pas la communiquer à son client.

Toutefois une telle démarche est strictement organisée sous le contrôle du juge. La partie qui demande une telle confidentialité pour s’opposer à la communication à l’autre partie de la pièce qu’elle détient, doit remettre au juge :

  • la version confidentielle intégrale de cette pièce,
  • une version non confidentielle ou un résumé de cette pièce,
  • sous la forme d’un mémoire, l’explication pour chaque information ou partie de la pièce en cause  des motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.

Pour l’examen de cette pièce,  le juge dispose également de la faculté d’entendre la partie qui demande cette communication et la partie qui détient cette pièce. Il est prévu également que le juge peut entendre séparément chacune de ces parties et qu’il n’y a pas à proprement dit d’audience pour ce débat. C’est là la volonté d’éviter qu’à cette occasion le secret soit évincé.

Différentes mesures sont prévues. Le juge peut refuser la communication de cette pièce quand il considère que celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige, ce qui permet d’éviter qu’un concurrent tente d’obtenir à l’occasion d’une procédure l’accès à des informations dites secrètes.

Si certains éléments de la pièce sont nécessaires à la solution du litige tout en étant de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut ordonner la communication soit de la version non confidentielle qui a été proposée par la partie qui la détient ou sous la forme de résumé que celle-ci a préparé, ou encore selon des modalités que le juge fixe de lui-même.

Reste la situation la plus délicate, celle où la communication doit porter sur des données protégées par le secret des affaires. Dans ce cas,  le juge va désigner quelle personne physique pourra avoir accès à cette pièce.  L’autorisation du juge ne vaut que pour des personnes physiques désignées. Autrement dit, si la partie au procès qui demande la communication de cette pièce,  est une société, elle devra désigner nommément telle(s) personne(s) physique(s) qui pourra(ont) avoir accès à cette pièce. Ces personnes physiques bien que désignées par la société, devront néanmoins donner leur avis sur cette désignation.En effet, il ne faut pas sous-estimer les conséquences pour ces personnes que l’accès à ces informations dites protégées par le secret des affaires, peuvent présenter pour elles soit dans leurs fonctions au sein de l’entreprise soit dans leurs travaux ultérieurs par exemple de recherche-développement. Autre point à souligner, ces personnes ne sont pas nécessairement des salariés de la société. La pratique montrera peut-être qu’il est préférable que ces personnes ne soient pas salariés de la société partie au litige. L’avocat qui représente sa cliente au litige aura accès à cette pièce également.

La décision du juge qui se prononce sur l’accès à une pièce dont le détenteur prétend qu’elle présente un caractère de secret des affaires pourra faire l’objet d’un appel selon des modalités différentes si cette décision intervient avant tout procès au fond ou au contraire, lors de celui-ci.

Également il est prévu que le jugement puisse être remis sous la forme d’extraits afin d’éviter la violation du secret. Autre possibilité, la communication d’une version non confidentielle du jugement, c’est-à-dire que les informations couvertes par le secret des affaires sont occultées pour être remises au tiers ou pour en assurer la mise à disposition au public.

Des dispositions spécifiques sont prévues pour garantir par avance en cas d’une demande de saisie sur requête, c’est-à-dire sans que l’autre partie soit entendue, que les pièces qui seront saisies seront d’office placées sous séquestre provisoire afin d’assurer la protection du secret des affaires. Ces dispositions trouveront à s’appliquer aussi bien à la requête générale dite de l’article 145 du code de procédure civile qu’à la saisie contrefaçon dont bénéficient les titulaires des droits de propriété industrielle.

Ces mesures de protection du secret des affaires ont vocation à s’appliquer après le prononcé du jugement sauf si une juridiction décide qu’il n’existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles.