Article de Me Philippe Schmitt publié dans la revue Propriété Industrielle de décembre 2020 sous le titre L’IA doit rester une science et non une technique à breveter

La numérotation de la publication n’est pas ici conservée, des soulignements sont ajoutés,  l’article tel que publié est là : l’Ia doit rester une science et non une technique à breveter

 

Le droit des brevets doit-il céder au transhumanisme ? L’intelligence artificielle dont la qualité d’inventeur vient de lui être refusée par une première décision de l’OEB, est appelée à se généraliser à tous les domaines techniques. Cette affaire DABUS présente la double performance de débattre de l’IA au cœur du processus inventif sans pour autant la décrire ou la revendiquer. L’effet boîte noire de l’IA est-il compatible avec l’exigence de suffisance de description et des modalités de preuve de la contrefaçon de brevet ? Selon la réponse donnée, c’est toute l’économie des acteurs de l’innovation qui se dessine pour les prochaines années.

 Quel parcours ! En 2002 la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur[1] visait à améliorer la situation d’innovateurs pour leur permettre de tirer profit de leur créativité[2]. Sortir de l’exclusion de la convention de Munich du 5 octobre 1973 (CBE) ne modifiait en rien l’exigence d’un inventeur personne physique.

Avec les techniques dites d’IA[3], le processus créatif qui permet d’atteindre la brevetabilité n’appartiendrait plus exclusivement à l’humain, l’inventeur personne physique deviendrait une condition facultative de la brevetabilité. « La nécessité d’humanité devrait être abandonnée », immédiatement assortie d’une réserve de convenance « sans pour autant conférer de droit spécifique à une IA»[4]. Subrepticement se glisse l’enjeu de la capacité juridique de l’IA. À défaut d’inventeur personne physique, une IA, avatar d’inventeur, deviendrait titulaire du brevet, à laquelle les humains demanderaient une licence pour exploiter l’invention. … si tant est si qu’il y ait encore besoin d’humain et de brevet.

Écartons cette dystopie[5]. Deux situations cristallisent les débats. L’IA a créé l’invention. L’IA intervient dans la mise en œuvre de l’invention.

IA au cœur du processus inventif

Deux manifestations de la présence d’IA dans le processus inventif : sa désignation comme inventeur et son indication à la description du brevet. Emblématique de ces débats sur les inventions créées par IA, la demande de brevet DABUS[6]. Disons le tout suite, il n’y a pas de technique d’IA de décrite à cette demande de brevet.

– IA désignée comme inventeur

Certes les tenants du transhumanisme reprocheront de ne pas avoir envisagé l’hypothèse où la case de désignation de l’inventeur est remplie par l’IA elle-même. Limitons-nous à cette désignation par le déposant qu’il nomme à son choix ou par la désinence commerciale de cette IA.

Qui est l’inventeur, l’humain ou la machine ? La difficulté de la case « inventeur » n’en est pas une. D’une part, l’office n’exerce pas de contrôle sur cette désignation[7]. D’autre part, c’est encore aujourd’hui une intervention humaine qui décide qu’il s’agit d’une invention, qu’elle peut faire l’objet d’une demande de brevet et qui la dépose. Une IA aussi moderne soit-elle n’a pas de volonté[8].

ll fallait bien tester les offices de propriété industrielle. Ce qui fut fait par Stephen L. Thaler. Sa demande de brevet présentait d’abord une case vide de toute désignation d’inventeur puis en réponse à la notification de la section de dépôt de l’OEB, le formulaire désigne « DABUS – L’invention a été générée de façon autonome par une intelligence artificielle »[9], indications suivies par une indéniable marque d’anthropomorphisme, une adresse postale qui est d’ailleurs identique à celle du déposant…on n’est jamais trop prudent.

Le droit au brevet appartient à l’inventeur ou à son ayant cause prévoit l’article 60 de la CBE. Seule la situation de l’employé est proposée par renvoi à la loi applicable à l’établissement où l’employé exerce « son activité principale».

La première cause d’appropriation de cette demande de brevet avancée par le déposant a été sa situation « d’employeur »[10], mais cet argument ayant été abandonné, nous ne saurons pas si les employés en question auraient pu être des « turkers »[11] et si dans ce cas, ces centaines de personnes qui indexent les documents d’apprentissage, avaient été rémunérées dûment par le déposant.

Le titulaire de la demande a ensuite invoqué sa qualité de propriétaire de l’IA ou de la machine[12]. Arrêtons-nous un instant sur le périmètre de cette propriété[13]. « Le propriétaire de la machine doit être le propriétaire par défaut de toute propriété intellectuelle qu’elle produit »[14], l’appropriation intellectuelle serait liée à la détention d’un bien matériel s’il s’agit d’une machine ou sur cet ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir, ce qui était présenté classiquement comme une activité humaine. Si le droit français[15] des biens et des personnes prévoit que « le propriétaire a droit à tout ce que produit la chose »[16], un tel repli sur une propriété déjà constituée ignorerait l’importance grandissante de l’IA au risque d’abandonner sous peu la distinction acquise depuis la Révolution française entre la propriété intellectuelle et la propriété réelle[17]. En matière de brevet, s’oppose à ce droit d’accession l’article 60 de la CBE qui conditionne cette propriété à la qualité d’inventeur.

Le déposant ne s’explique ni sur l’origine de la propriété de ce bien matériel ou des techniques qui l’animent ni sur la nature des droits qu’il détiendrait sur ceux-ci. En est-il propriétaire à titre originaire ou par un mécanisme contractuel ? Le déposant ne dit rien de ce contexte sauf par un renvoi à d’autres brevets qui décriraient une telle machine[18].

Quel est le rôle de cette IA dans l’invention dont le déposant revendique la propriété par celle de la machine qui l’a produite ? L’objet de l’invention telle que revendiquée porte sur des boîtes alimentaires avec des formes particulières. Et ce qu’apporte cette IA serait l’établissement de leur nouveauté[19], information donnée par le mémoire du déposant adressée à la section de dépôt. Cette machine dotée d’IA serait utilisée pour « détecter les nouvelles idées et identifie celles qui sont suffisamment nouvelles par rapport à la base de connaissances préexistante de la machine » [20]. Cette sélection de la nouveauté par rapport à cet art antérieur établirait la qualité d’inventeur puisque « la machine n’a reçu qu’une formation générale dans le domaine »[21]. Autrement dit sous couvert d’IA, le titulaire d’une telle machine s’attribue l’omniscience – aucun domaine technique ne semble lui résister -, et la qualité d’inventeur se trouve réduite à l’accès à une base de données et à la rapidité de son traitement ! Si le mythe de la fin du travail resurgit à chaque rupture technologique, ces périodes d’innovations technologiques s’accompagnent généralement d’une revalorisation des inventeurs. Sous le régime de l’IA, cette règle prendrait fin !

La notion d’ayant droit n’écarte pas l’exigence de désignation d’inventeur mais elle suppose une capacité juridique de celui-ci pour faire naître ce droit et pour le transférer, qualité que n’a pas cette IA et que le déposant n’a même pas tenté d’établir sérieusement[22]. L’absence de capacité juridique[23] de cette IA s’analyse pour la section de dépôt de l’OEB comme un défaut de désignation de l’inventeur conformément à l’article 81 et à la règle 19 CBE, ce qui conduit au rejet de cette demande de brevet.

La solution ici n’était donc pas technique au sens de définir le seuil à partir duquel cette IA serait analogue au processus inventif d’un humain, mais une simple constatation juridique de l’absence de capacité juridique.

La simplicité de cette réponse la condamnerait face aux transhumanistes qui voient dans l’IA le fondement d’une nouvelle humanité : « en fonction de la croissance exponentielle des technologies, les ‘machines’ – nous aurions besoin de trouver un mot nouveau – vont devenir aussi subtiles et souples que les êtres humains. C’est ça, la biologie de l’avenir ! Elle ira au-delà de toutes les limitations. Les machines dépasseront nos capacités, et en fusionnant avec elles, nous n’allons pas nous amoindrir ! L’intelligence non biologique va doubler de puissance chaque année, ou même plus vite encore, alors que l’intelligence biologique est relativement fixe. Au final, la part non biologique prédominera», selon Ray Kurzweil, « icone de l’Amérique transhumaniste »[24].

Toute résistance serait vaine. D’ailleurs des articles juridiques du droit des brevets admettent déjà la fin de partie pour l’humain[25] !

L’IA, cet inventeur d’un nouveau genre interviendrait dans le processus inventif. Reste à voir comment se matérialise cette intervention à la demande de brevet.

– IA dans le processus inventif de l’invention brevetée

Rappelons une évidence, les inventeurs utilisent des machines pour élaborer leurs inventions. Sans remonter aux bâtons népériens ou à la « Pascaline », les machines à calculer n’ont pas disqualifié les inventeurs qui y ont eu recours pour élaborer leur invention.  Toutes les inventions de la biologie ont été réalisées grâce à des machines d’analyses, ou à des dispositifs d’observations. Avant l’IA, des machines suppléaient déjà les capacités humaines dans le processus inventif. En quoi une IA vient-t-elle bouleverser cet agencement ?

A priori la demande DABUS déçoit nos interrogations car elle ne cite même pas d’IA à sa description. Mais cette absence nourrit de nouvelles interrogations.

1° La demande DABUS n’indique pas l’emploi d’une IA 

À la demande DABUS, l’invention en cause n’est ni Deep Blue (les échecs) ni Deep Mind (le jeu de go), elle a pour objet une boîte pour ranger des aliments ou des liquides. Sa particularité ? Sa forme ne serait ni cylindrique ni cubique, mais ses parois seraient constituées d’éléments fractales, la même alternance répétée de parties convexes et concaves, qui permettraient ainsi d’augmenter la contenance et les possibilités d’assemblage.

La description n’indique pas en quoi ce résultat aurait été obtenu par une IA[26] ni a fortiori la technique employée (apprentissage supervisé, apprentissage par renforcement). Quel algorithme a été utilisé ? D’où proviennent les sources d’apprentissage des multiples exemples qui ont alimenté cette machine ? Rien n’est dit des paramétrages retenus, des critères de sélection et de leurs choix. Combien de boîtes ont été proposées et en combien d’étapes avant le choix de cette forme particulière et par qui cette décision de dépôt d’une demande brevet a été prise ? Le seul indice d’intervention d’une IA serait l’absence de sens commun[27]. Si ce processus créatif avait utilisé une IA, celle-ci ne serait pas autonome d’une intervention humaine.

En l’absence de mention d’une IA à la description et aux revendications, osons une hypothèse. Si une IA était intervenue dans la conception de cette boîte et si la revendication de produit était caractérisée par son procédé d’obtention, la solution classique de l’OEB ne trouverait-elle pas à s’appliquer : « Le contenu technique de l’invention réside non pas dans le procédé en tant que tel, mais dans les propriétés techniques que ce procédé confère au produit»[28]? Mais à cette demande de brevet il n’y a pas de description d’un procédé. Décidément cette demande DABUS ne peut même pas constituer un outil expérimental pour le juriste !

Dernière possibilité pour voir à l’œuvre cette IA, l’approche problème-solution. Sauf à imaginer que la demande de brevet ait été rédigée par une intelligence artificielle ce que ne disent ni le déposant ni son mandataire, son rédacteur a procédé a posteriori à une validation du résultat obtenu via une démonstration compréhensible par un humain. Pas de trace là non plus d’une IA.

2° Exiger l’indication d’une IA à une demande de brevet ne vise qu’à évincer la reconnaissance des droits des inventeurs et ne permet pas la diffusion des connaissances

Rendre obligatoire à la demande de brevet l’indication d’une IA par l’inventeur pour décrire son cheminement inventif ne constitue au mieux qu’une énième manifestation de transhumanisme quand ses acteurs échouent à imposer l’IA comme inventeur. La demande DABUS n’avait pas d’autre objectif que de faire reconnaître cette qualité à une IA. Parmi les arguments avancés, l’encouragement de ceux qui innovent grâce à l’IA, mais une telle démarche vise simplement à évincer toute personne physique de la case inventeur et ne légitimer comme moteur de l’innovation que ceux « qui développent, possèdent et utilisent cette technologie »[29]. Curieuse perspective à l’opposer du foisonnement d’idées qui classiquement, au moins depuis Schumpeter, caractérise l’entrepreneur qui n’a peur de rien, va à l’encontre des préjugés, tente ce qui pour d’autres est impossible et « révolutionne la routine de production »[30].

Autre argument avancé, indiquer l’emploi d’IA à la demande de brevet permettrait la diffusion des connaissances[31]. Mais ouvrir la boîte noire d’une IA n’explique rien. La distinction entre interprétabilité et explicabilité est une des difficultés de l’AI. Si un algorithme est interprétable parce qu’on sait comment il fonctionne, et même si cette tâche serait particulièrement fastidieuse,  expliquer une IA semble humainement impossible. Une telle ambition nécessiterait de reprendre pas à pas les différentes entrées, c’est-à-dire les milliers d’images – et que dire du nombre de pixels en jeu -, les pondérations appliquées et leur ordre de soumission, qui ont permis d’atteindre l’objectif assigné à savoir l’invention, et dans sa configuration à cette date sans ajouter quoique ce soit à cette machine. Sans oublier pour revenir à l’exemple de DABUS qu’il faudrait aussi indiquer les autres contenants alimentaires qui non pas été retenus soit parce qu’ils n’étaient pas suffisamment nouveaux au regard de l’art antérieur dont disposait la base de données – le second traitement de DABUS-, soit, sous une action humaine, parce que le déposant n’en a pas voulu. Y aurait-il autant de tours de Babel que de brevets dont l’objet a été inventé par l’emploi d’une IA ? Pas du tout, car les promoteurs de DABUS n’en demandent pas tant. La marque commerciale de cette IA suffirait probablement pour atteindre leur objectif : revendiquer la propriété totale ou partielle sur l’invention. Sous couvert de l’IA, c’est un nouveau mécanisme de propriété issue de la détention d’un bien qui est recherché sans pour autant rendre accessible au public les connaissances nécessaires.

3° IA va modifier les pratiques des offices et leurs rapports avec les usagers

L’IA gagne tous les domaines en à peine une dizaine d’années. Trois catégories principales d’inventions selon le rapport de l’OMPI en 2019[32]. Les techniques d’IA proprement dites, principalement l’apprentissage machine et les réseaux neuronaux. Les applications fonctionnelles de l’IA à la vision, la parole et à l’écriture. Enfin, des domaines d’application des plus variées tels que le transport, les télécommunications, les banques, l’agriculture, les sciences de la vie. Si le total des brevets sur l’IA pourrait apparaître faible au regard de la période concernée, 340 000 brevets depuis 1955 à 2016, le rapport de l’OMPI souligne leur très forte croissance. Les techniques d’apprentissage machine représentent plus d’un tiers de toutes les inventions et le nombre de dépôt augmenterait régulièrement[33]. Et parmi celles-ci les techniques d’apprentissage profond ont connu un très fort taux d’augmentation sur la période étudiée : 175 % de 2013 à 2016[34] . Parmi les applications fonctionnelles de l’IA, la vision par ordinateur, qui inclut la reconnaissance d’images, est citée dans 49 % de l’ensemble des brevets liés à l’IA.  Deux caractéristiques des brevets sur l’IA soulignent leur impact. Dans 70 % des cas le brevet porte à la fois sur une technique et sur une application fonctionnelle. Plus de 60 % des brevets se rapportent à plusieurs domaines d’application[35].

Face à des technologies qui s’affranchissent des domaines traditionnels, la pratique des brevets va être profondément modifiée. Ce changement est d’ailleurs clairement identifié avec la demande DABUS. Par cette demande de brevet, c’est la reconnaissance de l’automatisation de la recherche et donc de l’examen de la nouveauté qui est en cause. Mais cette recherche était déjà effectuée à l’aide de machines. Les offices[36] ont déjà intégré l’IA pour la classification des brevets, la traduction, certains services aux usagers, et la reconnaissance des images.

Les impacts de l’IA les plus marquants interviendront avec des recherches plus pointues pour l’activité inventive. D’une part, les outils d’IA permettent des recherches plus profondes et ils créent des liens entre des sources documentaires sans se limiter aux abstracts ou aux mots-clefs. D’autre part, ces outils établissent des associations entre des domaines techniques qui jusqu’ici paraissaient plus lointains. Par ces outils, la durée des procédures pourra être considérablement raccourcie. Certaines catégories d’inventions, par exemple celles de sélection seront durement affectées par ces emplois d’IA.

S’il n’est pas exclu que les déposants et leurs conseils demandent l’accès à ces outils de l’office, ils doivent aussi réfléchir comment l’IA peut être associée à la rédaction des demandes de brevet, et utilisée pour répondre aux notifications qu’elles soient ou non émises par des machines. Probablement que des IA seront développées pour étendre l’art antérieur et d’autres dans la finalité inverse. Se posera alors la question des capacités de financement des cabinets, car celui qui le premier bénéficiera d’un outil efficace dominera très rapidement le marché.

Révolution du droit des brevets ? Non. L’homme du métier sait déjà qu’il peut travailler en équipe, la machine IA ne fera qu’étoffer cette fiction.

IA lors des mises en œuvre de l’invention

– Si la demande DABUS ne décrit pas d’IA dans sa mise en œuvre, l’emploi d’une IA n’affecte-t-elle pas le caractère brevetable de l’invention ? Indépendamment de cette situation, l’intervention d’une IA peut aussi dissimuler l’acte de contrefaçon en rendant impossible la preuve de l’atteinte au monopole.

– Invention mise en œuvre par une IA

Aujourd’hui on associe l’IA à des algorithmes et à des capacités d’apprentissage. De tels dispositifs sont à confronter à l’exclusion de la brevetabilité des méthodes mathématiques, et à la suffisance de description et de clarté du brevet.

 Rien n’est simple avec l’IA, sous ce terme se place des concepts évolutifs,  – ce qui est normal pour ce nom – , et ses pionniers occupent des positions quasi monopolistiques.

1° Ne pas réduire le débat sur l’exclusion ou non de la brevetabilité des inventions mettant en œuvre une IA à leur seule composante en méthode mathématique

Comme le relève l’OEB dans ses directives d’examen à propos des IA « ces modèles de calcul et algorithmes sont, en tant que tels, de nature mathématiquement abstraite, indépendamment de la question de savoir s’ils peuvent être « entraînés » à partir de données d’entraînement».

L’INPI dans ses directives de délivrance des brevets et des certificats d’utilité[37]  considère que « L’intelligence artificielle, dans la mesure où elle s’appuie sur des modèles de calculs, est considérée par nature comme étant une méthode mathématique mise en œuvre par ordinateur qui, lorsqu’elle est revendiquée en tant que telle, ne peut être considérée comme une invention au titre de l’article L. 611-10 paragraphes 2 et 3 ».

A priori se retrouverait ici le débat sur les méthodes mathématiques qui est devenu aujourd’hui classique à propos des inventions mises en œuvre par ordinateur[38], de l’importance du caractère technique et de ses variantes, l’effet technique ou la finalité technique, et de celui du lieu technique ou non d’appréciation de l’activité inventive. Aux directives de l’OEB, des exemples[39] présentent différents aspects que le caractère technique peut prendre, et qui permettent à une méthode mathématique d’éviter l’exclusion de l’article 52 CBE.

Comme l’OEB le reconnaît « l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique sont appliqués dans divers domaines techniques». Dès lors, pour deux des trois catégories principales d’invention, – les applications fonctionnelles de l’IA et les domaines d’applications techniques -, ce critère technique apparaîtrait facilement réalisé et ne resteraient en réelle discussion que les techniques d’IA proprement dites pour lesquelles le lieu de la technicité ferait débat. Or, les exemples fournis par l’OEB d’inventions mise en œuvre au moyen d’IA ne se satisfont pas de formulation technique générale[40]. Pareillement, les exemples aux directives d’examen de l’INPI[41] montrent que le caractère technique requis ne provient pas d’expressions techniques telles que « machine à vecteur de support (SVM) », d’« algorithme génétique », de « réseau neuronal » ou d’« apprentissage automatique ou profond ». Tous ces exemples semblent exiger que l’invention mise en œuvre par IA remplisse trois conditions de technicité[42]. S’appliquer à un domaine technique. Traiter des données techniques, c’est-à-dire provenant d’un dispositif technique. Et que l’objet traité ou stimulé par cette IA soit technique.

Face à l’accélération prodigieuse des applications de l’IA et de leur développement, l’absence de référentiel jurisprudentiel fragilise toute spéculation. Toutefois, tout peut encore changer dans un sens comme dans l’autre[43]. En effet dans l’affaire T 0489/14, la grande chambre est saisie par la chambre de recours de différentes questions qui pourraient alimenter le débat des inventions mettant œuvre une IA. Cette demande de brevet porte sur la conception d’un immeuble à partir du déplacement des piétons. À propos de la revendication 1ère  qui avait été limitée à un procédé de conception d’une construction comprenant une étape consistant à simuler le mouvement de piétons dans cette construction, la division d’examen a fait valoir que la simulation revendiquée du mouvement des piétons « ne contribue pas à l’objectif technique de la revendication, c’est-à-dire à la conception d’une construction, puisque aucun élément ni aucune caractéristique du modèle numérique n’est limité du point de vue fonctionnel à cet objectif technique ». C’est-à-dire un dispositif de simulation très en amont d’un bâtiment effectivement construit pour lequel la grande chambre est interrogée sur la possibilité ou non d’apprécier l’activité « lorsque cette simulation assistée par ordinateur est revendiquée en tant que telle ».

« C’est l’apprentissage qui anime les systèmes de toutes les grandes entreprises d’Internet. Elles l’utilisent depuis longtemps pour filtrer les contenus indésirables, ordonner des réponses à une recherche, faire des recommandations, ou sélectionner les informations intéressantes pour chaque utilisateur[44]». Accepter que de telles méthodes d’apprentissage ou des modules de méthode soient protégées par des brevets indépendamment de leurs applications techniques seraient placer dans des situations de dépendance les développements ultérieurs quels que soient leurs domaines techniques. Les méthodes d’apprentissage dites supervisées ne seraient plus attachées aux milliers d’exemples étiquetées qui permettent un apprentissage effectif, en effet, la pertinence d’une IA se mesure par ses caractéristiques de pondérations des exemples qui lui sont soumis et dans sa capacité de généralisation, c’est-à-dire son aptitude à reconnaître par exemple un chat qu’elle n’a jamais vu. Une telle méthode si elle était brevetée accorderait un monopole qu’il s’agisse de chat, de chien ou de voiture bien que les mécanismes de pondération doivent être reconstruits pour chaque application (le chat, le chien, la voiture, etc.).

Pire encore, quel serait l’impact de brevet sur des modèles conceptuels de l’apprentissage profond ? La multiplication des brevets[45] avec un monopole indépendant de l’application concernée accorderait aux géants de l’Internet une extension considérable de leurs domaines techniques d’intervention. On le pressent, l’enjeu ici est celui de l’apprentissage par transfert, l’IA élaborée pour un problème donné, permet son application à une autre tâche quitte même à un autre domaine technique qui est lié. Rappelons-nous les débats sur les mammifères transgéniques dont la demande de brevet européen a été déposée le 24 juin 1985 et la procédure d’opposition a abouti à une décision de la chambre de recours technique du 6 juillet 2004[46] ! Avec une IA objet d’une demande de brevet portant sur activité transversale, et non comme dans cette affaire des années 80 – une invention limitée à un seul aspect technique du domaine de la génétique dont on sait l’obsolescence -, les positions économiques acquises avec l’IA ne pourront pas être remises en cause 19 ans après le dépôt de la demande.

2° Exigence de suffisance de description et de clarté pour l’invention mise en œuvre par une IA confrontée à l’effet boîte noire et à son renforcement

Quand l’invention est mise en œuvre au moyen d’une IA, l’exigence de suffisance de description et de clarté[47] à l’invention ne peut pas être remplie par une description de l’état d’apprentissage requis. En effet, rien n’est humainement compréhensible dans la boîte noire de l’IA[48], l’amoncellement des apprentissages n’est pas explicable comme il a été dit ci-dessus par opposition à l’interprétabilité d’un algorithme. Face à la boîte noire, le déposant devra à la demande de brevet exemplifier la capacité de l’IA à interagir pour réaliser l’invention sur l’ensemble du périmètre de l’invention revendiquée ou sur les points clefs de celle-ci[49]. Et ce au regard de l’IA telle qu’enseignée au jour du dépôt de la demande, afin d’éviter que le déposant n’ajoute ultérieurement des avantages techniques non envisagés initialement. Peut-être que les offices ajouteront des directives de tests, – des crash-tests – en situation afin d’exclure les biais d’apprentissage et pour définir les limites techniques selon les domaines concernés. Mesurer des capacités d’IA, un nouveau métier pour les cabinets de CPI, ou plus certainement pour les data scientists qui deviendront peut-être les nouveaux responsables PI des entrepreneurs de l’IA.

La spécificité d’une invention mise en œuvre par l’IA est son perpétuel renforcement par elle-même. La demande de brevet déposée, l’IA continuera à s’enrichir par ses nouveaux apprentissages. L’inventeur désigné devient passif puisqu’il ne maîtrise plus les évolutions, il se contente de les observer et de les intégrer autant qu’il le peut, luttant ainsi contre l’obsolescence de son apprentissage[50] fixé à la date de son invention pour lui garder son utilité. Une invention dont l’apprentissage de l’IA serait arrêté au jour du dépôt de la demande de brevet, ne serait au mieux qu’une invention mise en œuvre par logiciel adossé à une base de données. Or, la voiture autonome si elle circulait déjà dans Paris, devrait s’adapter nécessairement aux « coronapistes » ou elle perdrait son autonomie.

Ces nouvelles habiletés entreront-elles dans le monopole du breveté ? Parlerons-nous encore de brevet de perfectionnement quand ces nouveaux apprentissages affranchiront la machine des limites explicitées à la demande ? Ou bien le déposant devra prédire les séries chronologiques, c’est-à-dire des collections de données sur un laps de temps par avance défini ? Mais là encore il faudra envisager comment le rythme, la saisonnalité, ou même l’interruption de ces flux de données modifient la mise en œuvre de l’invention. Cette perception du passé se maintiendra pendant 20 ans ou bien cette invention, parce que collaborative et dramatiquement instable car imprévisible verra sa mise en œuvre exclue de la protection au-delà d’un seuil de nouveaux apprentissages. Il est possible aussi que des lignes de partage se dessinent parmi ces inventions dont la mise en œuvre nécessite une IA selon que leurs techniques d’apprentissages soient supervisées, non supervisées ou par renforcement, c’est-à-dire des techniques qui nécessitent des interventions humaines à des phases différentes de l’apprentissage.

Atteinte à une invention brevetée par une IA

Une IA peut-elle contrefaire une invention brevetée ? Cette question n’est pas une concession au transhumanisme, elle dit en quelques mots les inquiétudes des utilisateurs des brevets.

Quel que soit le mode d’apprentissage, une IA n’est pas autonome, ses règles de fonctionnement et ses finalités lui étant affectées par un humain[51]. À l’intérieur de ses finalités et parmi ses règles certaines lui fixent des chaînes de causalités qui conduisent à des actions sans intervention humaine[52]. Toutefois de ces générations de milliers d’images si ce n’est de millions, la régularité qui peut en être extraite, échappe à toute méthode causale humainement appréhendable. Se devine aisément que selon la catégorie de la revendication (« produit, procédé, dispositif ou utilisation ») et de l’exigence de clarté et de fondement des caractéristiques essentielles[53]  de l’invention, cet effet boîte noire de l’IA constituera une difficulté sérieuse pour établir la contrefaçon.

Autant le brevet aura décrit avec suffisance de description les étapes, les moyens, ou les dispositifs constitutifs de l’invention, en évitant toute ambiguïté terminologique, autant les preuves matérielles de la contrefaçon feront défaut au breveté quand toutes leurs caractéristiques seront stimulées dans l’IA de la machine litigieuse. Quant à l’hypothèse d’une invention qui décrit pour sa mise en œuvre une IA, et au-delà d’une preuve de la contrefaçon de son logiciel, la preuve de l’atteinte au brevet tiendra de la querelle de méthodes formelles ou de débats heuristiques[54]

Même si l’IA était accessible et qu’elle soit saisissable via un support informatique, son examen ne fournirait aucune information exploitable directement. Au mieux la contrefaçon pourrait être établie par des séries de tests de simulation, mais de tels tests ne montraient que des probabilités de réalisation de l’effet escompté, l’objet de l’invention, et non que l’IA n’ait pas pu réaliser l’invention autrement que selon les étapes de l’invention.

Probablement des IA seront conçues pour interroger ces boîtes noires. D’autres développeurs créeront des IA capables d’établir comment, au jour de la saisie l’objet de l’invention pouvait être réalisé sans suivre l’enseignement du brevet grâce aux autres connaissances diffusées depuis la date de dépôt de la demande. Selon les domaines techniques, se posera la question de l’attractivité du brevet au regard des développements requis pour sa protection.

Différentes hypothèses sont envisageables si les recours à l’IA se généralisent. Les opérateurs économiques concentreront leurs efforts sur les composantes matérielles de leurs inventions et sur des inventions de produits. Ces coûts cachés du procès en contrefaçon ou ceux de son aléa, parce qu’ils se reporteront sur les nouveaux entrants qui y feront face car poursuivis en contrefaçon, les dissuaderont d’intervenir sur ces marchés[55].

La question qui semble ici centrale est celle de capacité d’une IA a été redéployée pour d’autres usages. Autrement dit, si l’IA n’est pas spécifique à tel ou tel domaine technique mais que son application repose essentiellement sur des échantillons d’apprentissage issus de ce domaine technique, un déplacement de valeur de l’innovation se marquera en faveur des employeurs de « turkers » au détriment des inventeurs.

À propos des différentes techniques d’apprentissage, Yann LeCun rappelle que « c’est une question fondamentale scientifique et mathématique, pas une question de technologie » [56].

Faut-il limiter la science et les mathématiques par des monopoles de brevet ? Jusqu’ici le droit des brevets a su l’éviter[57], il serait regrettable que sous couvert d’intelligence, il n’en soit plus ainsi.

[1] PE et Cons. CE, 12 nov. 2002, Texte E 1965 – COM (2002) 92 final :  JOCE 25 juin 2002, n° C 151/129.

[2] Dans l’intérêt de la société et de la libre concurrence, considérant 8 : « La protection par brevet permet aux innovateurs de tirer profit de leur créativité. Les droits de brevet protègent l’innovation dans l’intérêt de la société dans son ensemble mais ils ne doivent pas être utilisés d’une manière anti-concurrentielle ».

[3] Ces débats auraient-ils eu lieu si cette science avait été appelée « habileté augmentée » ?

[4] B. Sautier, L’inventeur : « Humain, trop humain ? » : Propr. industr. 2020, étude 16.

[5] Une telle perspective est également rejetée par la Commission. Dans sa communication du 8 avril 2020 «  Renforcer la confiance dans l’intelligence artificielle axée sur le facteur humain » après le rappel que « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, d’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme », indique que les lignes directrice élaborées par des experts de haut niveau sur l’IA posent sept exigences « Facteur humain et contrôle humain, Robustesse technique et sécurité, Respect de la vie privée et gouvernance des données, Transparence, Diversité, non-discrimination et équité, Bien-être sociétal et environnemental, Responsabilisation », COM(2019) 168 final.

[6] Cet article se limitera à la demande EP 18 275 163 déposée le 17 octobre 2018 intitulée « Food Container » et publiée sous EP 3 564 144. Des demandes analogues furent déposées devant d’autres offices. À noter le changement de titre à la demande PCT « Récipient alimentaire et dispositifs et procédés pour attirer davantage l’attention ».

[7] V. la règle 19, l’OEB ne contrôle pas l’exactitude de la désignation de l’inventeur. La combinaison des règles 20 et 21 prévoit l’intervention du véritable inventeur.

[8] « Un des défis fondamentaux auquel le concept d’intelligence confronte la pensée concerne la possibilité d’engager la relation du vivant au non-vivant dans une autre aventure que celle, dépassée, de leur différence. Séparer les domaines et tenter de sauver la « nature » ou l’intégrité de l’humain contre la « singularité » technologique ne mène nulle part » : C. Malabou, Métamorphoses de l’intelligence. Que faire de leur cerveau bleu ? : Puf, p. 12.

[9] « DABUS – The invention was autonomously generated by an artificial intelligence ».

[10] V. la motivation de la décision de rejet de la section de dépôt de l’OEB du 27 janvier 2020 qui reprend au point 30 cette thèse du déposant qui l’a ultérieurement abandonnée pour se placer en tant que propriétaire de la machine, point 5 de la décision de rejet.

[11] Terme qui désigne ces travailleurs du web, probablement par référence au joueur d’échecs du baron Kempelenle. Dans son acceptation plus récente, la plateforme Amazon Mechanical Turk.

[12] Points 27 et 30 de la décision de rejet de la section de dépôt de l’OEB.

[13] Voir le mémoire adressé le 24 juillet 2019 à l’OEB.

[14] « The machine’s owner should be the default owner of any intellectual property it produces ».

[15] V. par exemple W. Dross, Le mécanisme de l’accession, Eléments pour une théorie de la revendication en valeur, Thèse Nancy 18 novembre 2000, p. 84

[16] Pierre-Yves Gautier rappelle notamment le droit d’accession de l’article 546 du Code civil et l’applique au droit d’auteur, « De la propriété des créations issues de l’intelligence artificielle », JCP G 2018, 913.

[17] En ces sens Jean-Louis LESQUINS, « De l’accessoire et de l’ouvrage dans le Code civil », Revue Interdisciplinaire d’Etudes Juridiques, 2018/1, Volume 80, pages 3 à 42.

[18] « Une description détaillée du fonctionnement de DABUS et d’une machine de créativité est disponible, entre autres, dans les publications de brevets américains suivantes : 5.659.666 ; 7.454.388 B2 ; et 2015/0379394 Al. ( « A detailed description of how DABUS and a Creativity Machine functions is available in, among others, the following US patent publications: 5,659,666; 7,454,388 B2; and 2015/0379394 Al »).

[19] Dans le cas présent, DABUS a identifié la nouveauté de sa propre idée avant qu’une personne naturelle ne le fasse («  In the present case, DABUS identified the novelty of its own idea before a natural person did »).

[20] « …new ideas and identifies those ideas that are sufficiently novel compared to the machine’s pre-existing knowledge base », mémoire du 24 juillet 2019, préc.

[21] « …the machine only received training in general knowledge in the field ».

[22] Par une analogie malheureuse avec les enfants mineurs qui ont légalement des représentants légaux et qui indépendamment de leurs parents ou tuteurs ont heureusement une personnalité juridique.

[23] Pour le Parlement européen «  …il ne serait pas opportun de vouloir doter les technologies de l’IA de la personnalité juridique et insiste sur les répercussions négatives d’une telle démarche sur la motivation des créateurs humains », PE, rés. 20 oct. 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle, 2020/2015(INI), pt 13.

[24] Les Échos, 16 mai 2019.

[25] « Si l’IA fonctionne avec un paramétrage humain minime, peut-on vraiment considérer qu’un humain à contribuer de façon significative à l’invention » point 14, Bertrand SAUTIER, L’inventeur : «  Humain, trop humain », Propr. industr. 2020, étude 16.

[26] D’autres informations que celles du mémoire du déposant sont accessibles en ligne. Par exemple :   DABUS Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience : « cette machine est techniquement un système d’IA qui contient deux réseaux neuronaux artificiels …. Un de ses deux réseaux de neurones artificiels est formé à l’aide d’informations générales pour générer de nouvelles idées et inventions. Ces idées/inventions sont ensuite testées par le second réseau de neurones artificiels, qui juge pour déterminer si elles sont réellement nouvelles ou non, et génère une réponse, qui est ensuite utilisée pour « former et faire mûrir les idées qui ont le plus de nouveauté, d’utilité ou de valeur ». – AI Programs Are Creating Fashion Designs and Raising Questions About Who (or What) is an Inventor : www.thefashionlaw.com/ai-programs-are-creating-fashion-designs-and-raising-questions-about-who-or-what-is-an-inventor/.

[27] P. Schmitt, Brevet DABUS et intelligence artificielle : le 25 novembre 2019 n’est pas le jour de la singularité créative » : Village de la justice, 26 novembre 2019. 

[28] OEB, Directive relatives à l’examen pratiqué,  4.12 Revendication de produit caractérisé par son procédé d’obtention au visa des articles 53 b) et 64 b et de la règle 28 (2) www.epo.org/law-practice/legal-texts/html/guidelines/f/f_iv_4_12.htm.

[29] Mémoire précité du déposant.

[30] Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, éd. Payot 1990, p. 180.

[31] V. R. Abbott, « The artificial Inventor Project », OMPI Magazine, déc. 2019.

[32] WIPO Technology Trends 2019, Artificial Intelligence.

[33] De 28 %, avec 20 195 demandes de brevet déposées en 2016 (contre 9 567 en 2013).

[34] Pour atteindre 2 399 dépôts de brevets en 2016. Les réseaux neuronaux ont connu une croissance de 46 % sur la même période, avec 6 506 dépôts de brevets en 2016.

[35] En page 50 figure 3.17 du rapport OMPI, 20 domaines sont listés.

[36] Comme pour les biotechnologies, l’OEB suivra probablement les positions de l’Union européenne. Le Parlement est favorable à « l’établissement de normes sectorielles et une normalisation formelle » : PE, rés. 20 oct 2020, préc., pt 11.

[37] Version octobre 2019.

[38] Autrement dit, faut-il accorder la protection par brevet à l’IA en tant que telle, quand une telle protection a été refusée au logiciel au début des années 2000 ?

[39] Aux directives d’examen de l’OEB, sont citées des exemples de finalités techniques auxquelles une méthode mathématique est susceptible de répondre. Parmi ceux-ci 1°) Commander un système ou un procédé technique spécifique, par exemple un appareil radiologique ou un procédé de refroidissement de l’acier. 2) Déterminer à l’aide de mesures le nombre de passes qu’un engin de compactage doit effectuer pour obtenir la densité recherchée pour un matériau. 3°) Améliorer ou analyser des signaux audio, des images ou des vidéos numériques, par exemple effectuer un débruitage, détecter des personnes sur une image numérique, ou estimer la qualité d’un signal numérique audio. 4°) Séparer des signaux vocaux et fournir une reconnaissance vocale, par exemple mettre en correspondance une entrée vocale avec une sortie texte. 5°) Crypter, décrypter ou signer des communications électroniques ; générer des clés dans un système cryptographique RSA. 6°) Optimiser la répartition de charge dans un réseau informatique ;

[40] « L’utilisation d’un réseau neuronal dans un appareil de surveillance cardiaque pour détecter des battements irréguliers apporte une contribution technique. Parmi d’autres applications techniques typiques d’un algorithme de classification, on peut mentionner la classification d’images numériques, de vidéos et de signaux audio ou vocaux sur la base de caractéristiques bas niveau (par exemple les contours ou les attributs des pixels pour les images). En revanche, la classification de documents textuels sur la seule base de leur contenu textuel ne peut pas être considérée en soi comme ayant une finalité technique ; elle a plutôt une finalité linguistique (T 1358/09). La classification de données abstraites ou même de données de réseau de télécommunications, sans la moindre indication relative à une utilisation technique de la classification obtenue n’a pas non plus une finalité technique en soi, même si l’algorithme de classification peut être considéré comme ayant des propriétés mathématiques intéressantes telles que la robustesse (T 1784/06). Lorsqu’une méthode de classification répond à une finalité technique, les étapes consistant à générer les données d’entraînement et à entraîner le classificateur peuvent également contribuer au caractère technique de l’invention dans la mesure où ces étapes concourent à répondre à cette finalité technique ».

[41] « La vision par ordinateur comme le traitement, la reconnaissance et/ou la classification d’images et/ou de vidéos. Par exemple sont considérés comme techniques : la reconnaissance de l’environnement d’un véhicule autonome à partir de données obtenues à l’aide de capteurs, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour analyser des images numériques en vue de la reconnaissance d’un événement comme une tumeur dans une série d’images ou pour la détection d’un mouvement au sein d’une séquence vidéo.

La reconnaissance de la parole et/ou le dialogue homme-machine. Par exemple est considérée comme technique l’utilisation de l’intelligence artificielle, dans le but d’analyser le langage humain par un robot dédié, les données de paroles étant acquises via des capteurs audio et converties en données de langage via un logiciel de reconnaissance de la parole afin de décider et diversifier en sortie les comportements gestuels et vocaux du robot.

La robotique et/ou les procédés de contrôle/commande. Par exemple sont considérés comme techniques : la commande en temps réel d’un outil de forage, à partir des propriétés physiques mesurées de l’environnement du forage via un entraînement d’un réseau neuronal, la classification du trafic au niveau des nœuds des réseaux IP (Internet Protocol) utilisant l’apprentissage automatique pour améliorer la gestion du trafic sur le réseau IP.

L’analyse prédictive. Par exemple un procédé utilisant l’intelligence artificielle pour prédire les cours de la bourse a été jugé non technique. Par contre, l’utilisation d’un réseau neuronal dans un appareil de surveillance cardiaque pour détecter des battements irréguliers apporte une contribution technique.

Le traitement de textes. Par exemple l’utilisation d’un outil pour l’extraction de mots clés commerciaux à partir de contenus pour permettre leur identification et leur indexation au moyen de l’intelligence artificielle a été jugée non technique ».

[42] Ces trois conditions seraient-elles encore le résultat d’une confusion avec le « caractère industriel d’antan » ? Sur cette dernière expression V. M. Dhenne, Inventions mises en œuvre par ordinateur : jurisprudence 2018 – 2019 », Propr. industr. 2020, étude 4, n° 6.

[43] Et même quelques fois hors des pronostics.  V. OEB, gr. ch. rec., avis, 12 mai 2010, G 3/08.

[44] Y. LeCun, Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? : Collège de France, intervention.

[45] A priori l’IA remonterait aux années cinquante, ce qui exclurait la possibilité de brevet. Sur cette question V. J.-M. Deltorn,  Quelle(s) protection(s) pour les modèles d’interférence ? : Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 2017, n° 7, p. 127-142.

[46] OEB, 6 juill. 2004, T 315/03.

[47] V. CBE, art. 83 et 84.

[48] Comme cela a déjà été indiqué, n’est pas traitée ici la présentation de ce qui au sein d’une IA pourrait faire l’objet d’un brevet en tant que tel. S’agissant des modèles mathématiques il semble que leur grande majorité soit connue depuis plusieurs dizaines d’années, voir en ce sens l’article précité de Jean-Marc Deltorn.

[49] Il n’a pas lieu ici d’entrer dans les distinctions entre insuffisance de l’exposé et ambiguïté d’une revendication.

[50] V. J.-G. Ganascia, Le mythe de la Singularité, Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? Points, essais 2019, p. 149.

[51] V. J.-G. Ganascia, préc.

[52] Problématique essentielle à résoudre pour les parlementaires européens qui demandent la mise en place de garanties adéquates pour la protection des DPI, PE, rés. 20 oct. 2020, 2020/2015(INI), préc., pt 16. Dans cette attente, la violation des droits de brevets n’est pas traitée en tant que telle aux deux autres résolutions du Parlement prises le même jour : « Un régime de responsabilité civile pour l’intelligence artificielle », PE, rés. 20 oct. 2020, contenant des recommandations à la Commission sur un régime de responsabilité civile pour l’intelligence artificielle (2020/2014(INL)), et « Cadre pour les aspects éthiques de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies connexes », PE, rés. 20 oct. 2020, contenant des recommandations à la Commission concernant un cadre pour les aspects éthiques de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies connexes (2020/2012(INL)).

[53] CBE, art. 84 et règle 43.

[54] C’est dire aussi que l’IA change les termes du débat sur les inventions mises en œuvre par ordinateur.

[55] Cet enjeu est déjà parfaitement identifié par le Parlement européen pour la mobilité : « prend acte de l’intense activité de dépôt de brevets dans le secteur des transports en matière d’IA ; s’inquiète de ce que cela risque d’entraîner un nombre considérable d’actions en justice qui nuiront à l’ensemble du secteur et d’avoir aussi des répercussions sur la sécurité routière si l’Union ne légifère pas sans plus attendre sur l’évolution des technologies liées à l’IA », PE, rés. 20 oct. 2020, 2020/2015(INI), préc., pt 21.

[56] Y. LeCun, préc.

[57] La finalité de ces réflexions rejoint celle indiquée en introduction : « la primauté de l’Union au niveau mondial dans le domaine de l’IA rend nécessaire l’établissement d’un régime de propriété intellectuelle efficace et adapté à l’ère numérique, afin de permettre aux innovateurs de commercialiser de nouveaux produits », PE, rés. 20 oct. 2020, 2020/2015(INI), préc., pt. E.